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« Elections étudiantes à l’Université de Béthléem : même au Fatah, Abu Mazen ne fait pas recette. »

Nous publions ci-dessous un article de Julien SALINGUE, dont nous relaierons les chroniques, trsè informatives, au cours de son séjour en Palestine.


« Le mercredi 16 avril se sont déroulées les élections des représentants étudiants au Conseil d’Administration de l’Université de Béthléem. Il convient de préciser d’emblée que ces élections ont une portée incomparable à celle des scrutins équivalents en France : si l’on plafonne en général à 5 % de participation dans les Universités françaises, ici on parle de taux se situant entre 80 et 90%… Les élections étudiantes sont un enjeu majeur dans la vie politique des Universités palestiniennes. Elles se déroulent chaque année et sont souvent l’occasion de débats très tendus, voire même d’affrontements entre les organisations étudiantes. En 2005, des échanges de coups de feu ont eu lieu à l’Université de Béthléem, laquelle a alors été fermée pendant près d’une semaine…

Les forces en présence et les principaux débats

Chaque organisation politique palestinienne possède sa propre organisation étudiante. Il n’y a pas à proprement parler de « syndicats étudiants » dans lesquels se côtoieraient des militants de diverses organisations politiques et des militants « non-organisés ». Il y avait cette année, à Béthléem, 3 listes : une liste d’union des forces de gauche, soutenue par le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), Front Démocratique de Libération de la Palestine (FDLP) et Parti du Peuple Palestinien (PPP, ex-Parti Communiste), une liste soutenue par le Fatah et une liste soutenue par le Jihad Islamique.

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Le Fatah est fortement implanté et traditionnellement majoritaire dans cette Université, qui présente en outre la double spécificité de regrouper une forte proportion de Chrétiens et une grande majorité d’étudiants issus de milieux économiquement et socialement aisés. Les résultats de l’élection (18 sièges pour le Fatah, 9 sièges pour la Gauche et 4 pour le Jihad islamique) n’ont surpris personne et sont avant tout le produit de ces spécificités locales.

Le Hamas avait décidé, cette année de ne pas présenter de liste. H, un dirigeant local de l’organisation, m’a expliqué ce choix : « Depuis plusieurs semaines les militants du Fatah exercent des pressions sur nous. Ils ont notamment exigé que, à l’occasion de ces élections, nous condamnions publiquement les événements de Gaza en 2007 [la tentative avortée de putsch contre le Hamas, conduite par Mohammad Dahlan, dirigeant local du Fatah, qui avait donné lieu à de violents combats entre factions palestiniennes]. Nous avons répondu qu’ils n’avaient pas à exiger quoi que ce soit de nous mais ils ont continué. Nous avons alors décidé, pour éviter tout incident, de ne pas participer aux élections ». Du côté du Fatah, on soutient plutôt que le Hamas n’a pas osé se présenter car il avait peur d’être largement battu. Une version peu plausible dans la mesure où le Hamas a toujours été minoritaire dans cette Université et n’a jamais refusé pour autant de participer aux élections. L’an dernier il n’avait obtenu que 5 sièges contre 16 au Fatah.

Deux types de questions sont au cœur des débats lors de ce type d’élections : les questions strictement universitaires et les questions concernant la politique nationale et donc la stratégie et les objectifs de la lutte du peuple palestinien contre l’occupation israélienne (sur lesquelles je reviendrai plus tard). Concernant les questions universitaires, les programmes des deux principales listes (Gauche et Fatah) étaient assez proches : aides sociales pour les étudiants démunis, soutien scolaire pour les étudiants en difficulté… La liste de la Gauche insistait davantage sur les questions de démocratie dans l’Université, que ce soit du point de vue du contenu des cours ou du fonctionnement de l’Institution.

Il y avait une autre nuance, et pas des moindres : « Nous expliquons aux étudiants que contrairement au Fatah, nous tiendrons nos promesses et nous ne nous contenterons pas de faire de cadeaux aux gens le jour de l’élection pour ensuite n’offrir de l’aide et de l’argent qu’aux seuls membres de nos organisations » (M, membre du FPLP). Les membres du Fatah ont bien évidemment démenti cette accusation mais, lorsque l’on connaît le degré de corruption dans l’Autorité palestinienne et les pratiques clientélistes du Fatah, il est difficile de les croire… Qui plus est, en questionnant de nombreux étudiants, y compris des militants du Fatah, j’ai appris que le parti avait distribué à l’entrée de l’Université, les jours précédant les élections, des bons d’achat pour certains commerces de Béthléem et qu’il avait pris en charge, le jour du scrutin, l’intégralité du coût du transport pour les étudiants résidant à Jérusalem en fournissant gracieusement un bus.

La surprenante (?) campagne du Fatah

Le jour du vote, c’est l’effervescence à l’Université. Les militants de la Gauche (keffieh rouge) et ceux du Fatah (keffieh noir) tentent de convaincre les étudiants de voter pour leurs listes. Les règles sont strictes : pas de distribution de tracts dans l’enceinte de l’Université, le même espace pour les affiches de chaque liste, affiches sur lesquelles ne doivent pas figurer de photos ou de dessins d’armes à feu. Des hommes des différents services de sécurité de l’Autorité palestinienne d’Abu Mazen (Mahmoud Abbas) patrouillent, la plupart portent des treillis kakis, des tee-shirts moulants et des lunettes de soleil et ressemblent à s’y méprendre à des Marines en permission.

J’observe les affiches et mon regard s’arrête brusquement sur l’une d’entre elles, dans la zone réservée au Fatah. On y voit Yasser Arafat en train de donner un verre d’eau à Cheikh Ahmad Yassin, le leader spirituel du Hamas, assassiné par Israël en 2004. Tout un symbole : le Fatah qui porte assistance au Hamas… L’inscription, sous la photo, va dans le même sens : « Nous aidons ceux qui empruntent le mauvais chemin à revenir dans le droit chemin »… Je me dis alors que les 21 militants du Hamas qui ont été arrêtés en Cisjordanie, par la police d’Abu Mazen deux jours avant les élections, sont probablement en train d’être remis dans le droit chemin par ceux qui les interrogent dans leurs cellules. Je me dis aussi que la tentative de renversement du Hamas à Gaza, orchestrée il y a un peu moins d’un an par Mohammad Dahlan, élu du Fatah au Conseil Législatif Palestinien, était sans doute due au fait que le Hamas avait emprunté le mauvais chemin…

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Je remarque aussi qu’Abu Mazen ne figure sur aucune des affiches du Fatah, pas plus que sur le tract que l’on m’a distribué dans la rue, juste à l’entrée de l’Université. Les trois figures qui reviennent sont celles de Yasser Arafat, de Marwan Bargouthi, arrêté en avril 2002 par Israël en raison de son rôle-clé dans l’organisation de la lutte armée, notamment dans la fondation des Brigades des Martyrs al-Aqsa, et d’Abu Jihad ancien n°2 de l’OLP, en charge de nombreuses opérations militaires et responsable du commandement de la première Intifada, assassiné par Israël en 1988. Je me dis que c’est très certainement en hommage à Marwan Bargouthi que depuis plusieurs jours la police d’Abu Mazen traque les militants de Brigades des Martyrs al-Aqsa à Naplouse, n’hésitant pas à ouvrir le feu sur eux car ils continuent de mener des actions armées contre des cibles israéliennes. Je me dis aussi que c’est sûrement pour honorer la mémoire d’Abu Jihad que Salam Fayyad, le Premier Ministre d’Abu Mazen, déclarait il y a quelques mois au Caire que depuis 1948 le pire aspect de la lutte palestinienne avait été la lutte armée…

Je me demande alors quel est le contenu des propos que les militants du Fatah tiennent aux étudiants. Et quelle n’est pas ma surprise lorsque j’apprends que le volet « politique » du discours de la liste Fatah est « la lutte et la résistance jusqu’à la libération de tous les territoires occupés par Israël » et « le retour de tous les réfugiés sur la terre de laquelle ils ont été expulsés ». Je me dis alors que c’est indubitablement pour poursuivre la lutte et la résistance que l’Autorité palestinienne met en prison les résistants et appelle sans discontinuer depuis des années au compromis et à la « reprise des négociations, seul moyen pour mettre un terme au conflit ». Je me dis aussi que c’est évidemment pour permettre le retour des réfugiés que de nombreux dirigeants du Fatah, de l’OLP et de l’Autorité palestinienne multiplient depuis plusieurs années les déclarations qui sous-entendent que les réfugiés devront, dans leur immense majorité, renoncer au droit au retour, et qu’Abu Mazen contourne soigneusement la question des réfugiés dans ses discussions avec Ehud Olmert…

Abu Mazen ne fait pas vendre

Alors y’a-t-il un réel décalage entre la direction de l’Autorité palestinienne et les militants du Fatah, notamment les plus jeunes, ou a-t-on affaire à de la pure démagogie électorale ? Je pense que la réponse se situe au croisement de ces deux hypothèses. Lorsque je demande à N., militante du FPLP, pourquoi d’après elle Abu Mazen ne figure pas sur les affiches du Fatah, elle me répond : « c’est parce que tout le monde le déteste, même les militants du Fatah ! ». Je signale ici que lorsque je lui ai demandé, sur le ton de la plaisanterie, pourquoi il n’y avait pas de photo de Salam Fayyad, elle a éclaté de rire, comme bien d’autres militants du FP à qui j’ai posé la même question. J’ai eu l’occasion, par le passé, de rencontrer de nombreux militants et dirigeants du Fatah qui n’hésitaient pas à dénoncer les agissements de la direction de l’Autorité palestinienne, que ce soit ses compromissions successives, son attitude vis-à-vis de la résistance ou le développement exponentiel de la corruption et du clientélisme. Et je n’ai aucun doute sur le fait que chez les jeunes ce sentiment est bien présent, voire même plus présent que chez les militants plus âgés.

Mais dans le même temps, à l’Université de Béthléem, aucun des militants du Fatah ne m’a répondu de manière vraiment honnête lorsque je leur ai posé la question de l’absence d’Abu Mazen sur les photos. On m’a dit que c’était parce qu’Abu Mazen était moins populaire auprès de la jeunesse qu’Arafat, Bargouthi et Abu Jihad (ce qui n’est pas faux…), que les affiches étaient anciennes et dataient du temps où Arafat était encore président (ce qui est peut-être vrai pour certaines d’entre elles, mais pas pour d’autres, ni pour le tract) ou encore pour éviter qu’il y ait des tensions avec le Hamas (mais dans ce cas, pourquoi les avoir mis sous pression pour qu’ils se positionnent publiquement sur Gaza ?). J’ai pu cependant déceler deux types d’attitude chez les militants du Fatah que j’ai interrogés : pour les uns, un réflexe du type « défense du parti, surtout le jour des élections », sans pour autant faire preuve de beaucoup de conviction ; pour d’autres en revanche, souvent membre de la direction de Chabiba, l’organisation de jeunesse du Fatah, une défense inconditionnelle des figures de l’Autorité palestinienne et du parti. Ce sont en général ces derniers qui m’ont rappelé avec virulence que le mot d’ordre de la lutte pour la libération de tous les territoires occupés par Israël et la revendication du droit au retour de tous les réfugiés figuraient depuis toujours dans le programme du Fatah et n’avaient jamais été mis de côté par aucun de ses dirigeants.

Les positions des jeunes militants et jeunes cadres locaux du Fatah sont donc très contradictoires, et ne se résument en outre pas à une opposition entre « la base » et « la direction ». Cette situation contradictoire est à l’image de ce qui existe dans le parti dans son ensemble, un rassemblement hétéroclite d’authentiques militants et cadres, honnêtes et sincères, d’opportunistes qui ont rejoint le parti pour obtenir des avantages en intégrant, par exemple, un poste dans les services de sécurité, ou encore de bureaucrates sans scrupule qui ont depuis bien longtemps renoncé à toute perspective de combat pour la satisfaction des droits du peuple palestinien.

Néanmoins une chose est sûre : les membres du Fatah de l’Université de Béthléem ont bien compris qu’Abu Mazen et les perspectives politiques qu’il défend ne faisaient pas recette. Son attitude hostile vis-à-vis de la résistance, ses rencontres répétées avec Ehud Olmert alors que les bombes pleuvent sur Gaza ou le maintien de la corruption à grande échelle ne contribuent pas à le rendre populaire, bien au contraire. Le gouvernement Fayyad est considéré comme illégitime par une très grande majorité de Palestiniens et ne possède, encore moins qu’Abu Mazen, aucune autorité morale et politique, y compris au sein du Fatah.

Il n’est dès lors pas étonnant que les forces de police et les divers services de sécurité jouent un rôle de plus en plus important dans le maintien en place d’Abu Mazen et ses hommes et dans leur lutte contre les forces qui ne partagent pas leurs « options politiques ». Peu avant l’annonce des résultats, des militants du FPLP se sont mis à chanter des slogans hostiles à Mohammad Dahlan, figure de la corruption et de la collaboration. Quelques secondes plus tard, plusieurs des Marines de l’Autorité palestinienne sont allés voir les militants du FP et leur ont intimé l’ordre de cesser de chanter ces slogans, intimidation physique à l’appui. Les jeunes militants du Fatah, eux, se sont contentés d’essayer de chanter plus fort… »

par Julien Salingue

Béthléem 16 avril 2008