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« La culture israélienne : une culture d’occupation » par Aharon Shabtai

Voici le texte de l’intervention que fera Aharon Shabtai ce mardi 6 mai en Italie, à l’occasion d’un séminaire intitulé « Les démocraties occidentales et le nettoyage ethnique de la Palestine ». Traduction de Carole Sandrel.


Israël : une culture d’occupation

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(Intervention du poète israélien Aharon Shabtai lors du séminaire qui se déroulera les 5 et 6 mai à l’Université de Sciences Politique de Turin).

La fermeture de la culture israélienne

Trois facteurs ont radicalement transformé la culture israélienne.

1° Comme l’a si bien perçu Hannah Arendt en 1961, la manipulation nationaliste de la Shoah (l’Holocauste), institutionnalisée en Israël aussi bien qu’en Europe et en Amérique, a eu pour résultat de profondes distorsions et une profonde démoralisation. Elle est devenue l’objet d’un étonnant culte d’état dans l’éducation, la culture et la propagande. Dans la culture israélienne, la Shoah n’appelle pas à la solidarité humaine. Elle sert (comme la Grande Guerre sous la République de Weimar) à mobiliser le peuple pour une revanche apocalyptique (comme l’a si bien démontré Zygmunt Bauman). C’est un outil idéologique pour justifier le militarisme de l’état et inspirer la nouvelle croisade anti-musulmane.

Et c’est typique d’un Claude Lanzman, le réalisateur du film « Shoah », que d’avoir ensuite produit ( avec l’argent du régime) un film de propagande consacré à l’armée israélienne (Tsahal).

2° Avec l’escalade de l’occupation, Israël a progressivement perdu son apparence d’Etat démocratique, comme il a perdu son système politique qui s‘est vidé et corrompu, son système de Justice, et ses options politiques, comme un pays vivant normalement et respectant la loi. Israël est en réalité une sorte de colonie bizarre, dirigée par les généraux et les oligarques. Une colonie qui sert activement la guerre impériale de l’Amérique, et dans laquelle tout un peuple, près de 4 millions de gens, vit emprisonné. La société israélienne est aussi, en fait, en prison. Et le ciment qui maintient ensemble cette société socialement fragmentée, claustrophobe, le cerveau lavé, c’est le nationalisme extrémiste, l’avidité, la peur, la haine et le militarisme.

3° Dans les sociétés contemporaines néolibérales, la culture perd son sens authentiquement politique et sa morale stimulante, pour servir d’instrument idéologique à la privatisation.
Ce n’est plus une culture de la Politique (citoyens libres et actifs) mais une culture qui amène les individus à ne s’intéresser qu’à eux-mêmes, c’est-à-dire des « idiotai » (NdT : « idiotai » citoyens qui ne s’intéressent qu’à leurs intérêts personnels grec, par opposition aux « politai », citoyens qui participent à la vie de la cité).

L’intérêt pour soi-même implique la psychologisation de la morale et du politique. Tous les problèmes politiques, comme la pauvreté croissante, les agressions et l’injustice, ne sont pas pris en compte, pensés, et résolus sur l’Agora public, mais transformés en traumatismes personnels d’un ego dilaté qui recherche la vérité dans la Thérapie. L’individu reçoit sa privatisation comme un cadeau – étant un patient, et en trouvant sa place dans la Grande Clinique.

La psychologie se répand comme la culture d’un art thérapeutique. La culture comme thérapie et la Clinique ont un rôle quelque peu similaire comme celui de l’Eglise et des Jésuites dans la France de Stendhal.

La culture d’Israël en temps d’Occupation

1° Après les cohortes de réfugiés en souffrance de 1948, le pauvre peuple persécuté est arrivé dans ce pays. Maintenant, au bout de 60 ans, leurs petits-enfants sont devenus des persécuteurs surveillant le ghetto, commettant au quotidien des crimes de guerre, ou vivant, indifférents aux horreurs qui se commettent à 30 minutes de chez eux.

Les soldats font quotidiennement leur sanglant boulot à Naplouse ou dans le secteur de Gaza assiégée et qui meurt de faim, et le soir, à Tel Aviv, ils remplissent les bars et consomment de la culture. Après leur service militaire, beaucoup complètent leur raffinement spirituel dans les habituels pèlerinages en Inde. Dans l’histoire juive, l’Occupation est une maladie morale, mentale et déshumanisante.

2° Dans cette situation de barbarie institutionnalisée, les vrais monuments culturels sont le Mur, les barrages routiers, la prison de Gaza, les maisons bombardées, les vergers rasés, le jargon de l’Armée, etc.

La culture est obligatoire, soit pour s’annuler elle-même, ou pour être absolument révolutionnaire et dissidente – en se tenant clairement du côté des persécutés.

La culture libre en Israël n’est possible désormais qu’en tant qu’anti culture, anti poésie, anti art, anti psychologie. Complètement Anti. La culture doit devenir activement et explicitement politique. Ce sont les militants qui produisent de l’art et de la documentation anti-occupation, les jeunes Anarchistes qui filment les luttent à masha et à Bili’n, les cinéastes engagés comme Eyal Sivan et Avi Mugrabi, les photographes and correspondants qui passent les checkpoints pour rapporter des témoignages quotidiens.
En litératture, il y a le trimestriel radical MIta’am, publié par Itshak Laor, qui écrit d’importants essais et poèmes politiques. Et nous plaçons notre espoir dans les jeunes, ceux qui, comme disaient Hannah Arendt « possèdent la capacité de faire table rase ». Il y a ainsi le magazine Ma’ayan, publié par Roy Chicky Arad, qui regroupe les jeunes ressentant, un peu comme les Dadaistes, l’absurde du nationalisme et de la xénophobie israélienne. Ils créent une nouvelle anti culture de joie et de défiance, ancrée dans la rue, annulant les murs artificiels, les frontières et les lignes d’apartheid. Ils se sentent partie prenant de l’ensemble du Moyen-Orient et de ses peuples.

3° Mais force est de constater que ces dizaines ou ces centaines d’Israéliens qui vont tous les vendredis manifester contre le Mur à Bil’in sont tirés comme des lapins et roués de coups par l’armée. Tandis que 39 éminents écrivains sont transportés à Paris, rencontrent Peres et Sarkozy, et représentent Israël en tant qu’invités d’honneur à la Foire du Livre tant à Paris qu’à Turin. Ce fait montre clairement la co-existence idéologique entre Culture et Occupation. La culture en Israël est florissante actuellement, comme en Allemagne après 1933. Ce qui montre combien confortablement la Culture et l’Occupation peuvent co-exister. C’est le signe du nihilisme, que de considérer la situation actuelle comme normale. Le rôle de la Culture est désormais de fabriquer un consensus « d’honnêtes libéraux », de « bien pensants », donnant une image équilibrée et édifiante, et contribuant à une normailsation de la situation.

4° – La gauche molle

Je ne discute pas ici des groupes nationalistes et fascistes déclarés, dans la culture ou les média. Ils soutiennent explicitement l’armée, et appellent à la guerre et au nettoyage ethnique. Je préfère m’en tenir au courant dominant qu’on dit libéral, et en particulier à la « gauche molle », ceux qui se considèrent eux-mêmes comme le « Mouvement de la Paix » (« Mahaneh Hashalom »), mais qui sont en même temps des patriotes et ont le souci de traiter l’occupation d’une manière prétendument plus équilibrée, plus complexe et plus sophistiquée.

D’abord, au lieu de donner à la culture un sens politique actif, ils font le contraire : ils culturalisent la politique. Pour des écrivains comme Amos Oz et David Grossman, l’occupation est l’occasion de montrer les complexités de l’Humanisme Juif-Européen.
Le cas de grossman est exemplaire. Mon fils et le sien étaient en classe ensemble, étaient amis. Au début de la dernière guerre contre le Liban, Grossman a signé une lettre en soutien à cette « juste » guerre. Le même jour où je conseillais à mon fils de refuser de servir dans cette guerre, il envoyait le sien se battre. Son fils fut tué, et grossman a désormais acquis un staut de saint, symbolisant la « via dolorosa » du mouvement de la paix israélien.

L’Occupation devient la scène d’un psychodrame, d’une psychomachie (NdT : conflit psychologique entre le mal et le bien) – et de la souffrance de la belle âme israélienne déchirée et tourmentée. En ce sens la culture sous l’Occupation crée les Héros israéliens de la Culture, crée une image libérale et lumineuse d’Israël, et sert à le légitimer.

Et ainsi, l’Occupation, avec la Shoah, entrent dans le Panthéon Européen. Il y a les fleurs, la couronne de laurier de la culture israélienne, des invités bienvenus dans les musées, dans les assemblées d’intellectuels, dans l’art et les festivals de cinéma. L’enseignement de l’éthique en Israêl se repait d’Emmanuel Levinas.
Et les généraux israéliens sont fiers d’utiliser dans les camps de Jénine et de Naplouse, une tactique et des expressions qu’ils ont apprises dans les écrits de Deleuze et de Guattari.

L’Occupation fournit désormais du matériau pour l’industrie de la culture, pour les carrières universitaires, les films, les livres, les symposium. Cette culturisation est un phénomène de normalisation, et le recyclage du matériau ad nauseum sert un objectif idéologique. Il banalise les faits à force de répétition, et crée l’indifférence. Personne ne peut plus écrire et écrire encore sur les horreurs quotidienne. Cela devient démodé.

5° Thérapie

Le culte de la Shoah, les atrocités de l’Occupation, la mentalité militariste et raciste de la Colonie, et la misère due à l’économie néo libérale, ont créé en Israël une société particulière « d’idiotai » : une société du traumatisme. Les gens utilisent pour se désigner eux-mêmes « meurtris » (« srootim »). La culture comme activité thérapeutique est un moyen qui sert d’échappatoire, de sublimation, et de traitement des pensionnaires traumatisés de la Colonie.

Il faudrait ajouter que les Psychothérapeutes sont intégrés à l’armée et sont actifs dans le maintien de l’occupation. Il est attesté que l’armée a utilisé d’éminents professeurs de Psychologie et d’Ethique comme experts, alors qu’elle préparait une violente répression dans les villes de Cisjordanie et les camps de réfugiés (Opération Bouclier Défensif, en 2002). Ils ont prodigué leurs conseils pour que les soldats puissent garder le moral. Aucune organisation ni groupe de thérapeutes ne s’est montré inquiet ni pour la population civile palestinienne ni pour les jeunes soldats qu’on envoie tuer et terroriser – et n’a pris d’initiative pour protester contre l’occupation.

Je me servirai d’un seul exemple pour éclairer la manière étrange dont la thérapie agit idéologiquement, comme un déni et un déplacement. L’un des promoteurs des manifestations pro Tibet et anti Chine est un thérapeute très respectable, Nachi Allon. Il est l’ami du Dalaï Lama. On vient de découvrir (par quelqu’un qui a été sous ses ordres) que cet homme, officier en 1967 à Gaza, avait donné l’ordre de tuer de sang froid deux civils palestiniens et de molester cruellement un garçon, fils de l’un d’entre eux, qui accompagnait son père. Le fait n’a pas été démenti par Allon.

Je vis en Israël, à Tel aviv, et je dirais qu’à observer cette mascarade je me sens horrifié. A mes yeux la Culture en Israël, c’est la banalité de l’esprit au service de la banalité du mal. »

Aharon Sabtai

Tel Aviv 25 avril 2008

(Traduit par Carole SANDREL)

CAPJPO-EuroPalestine