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L’annexion de Jerusalem-Est : bouchées doubles depuis Annapolis

Les « conférences de paix » ont toujours servi à Israël à développer la colonisation avec la bénédiction des « arbitres » occidentaux. La situation de Jérusalem est désormais telle qu’elle ne laisse aucune place au concept de deux Etats, comme le montre Michal Schwartz. Un seul Etat, donc ? Il faudra alors qu’Israéliens et Palestiniens y bénéficient des mêmes droits, que cela plaise ou pas à la « grande démocratie israélienne ».


« Elan colonisateur hyperactif à Jérusalem et ses environs »

par Michal Schwartz

Nous ne savons pas si des négociations secrètes ont lieu entre Olmert et Abou Mazen sur la question de Jérusalem. Mais même si c’est le cas, elles n’ont aucune valeur face à la vague colonisatrice qui submerge la ville et ses environs, avec pour visée de couper Jérusalem-Est de la Cisjordanie et de l’empêcher de devenir la capitale de la Palestine future. C’est un indice clair de ce que le gouvernement Olmert n’est pas intéressé à la paix, mais seulement à l’existence d’un processus de paix sous le couvert duquel il lui est possible de poursuivre la colonisation sans y être dérangé.

Depuis la conférence d’Annapolis, Jérusalem est soumis à une offensive de colonisation hyperactive et publique, comme s’il n’était plus nécessaire de la cacher ni de la dénier face à l’Autorité Palestinienne et à l’opinion internationale. Si, dans son échec, la conférence d’Annapolis a eu un quelconque résultat, c’est bien celui-là le plus évident.

Ce sujet a fait la une grâce à Eli Yishai [le président du parti Shas – ndt] qui avait menacé de s’abstenir en ne votant pas la confiance dans le gouvernement Olmert le 10 mars, sur fond de gel des colonies à Jérusalem, et qui n’a pas cessé de réitérer des menaces de quitter la coalition au cas où celle-ci négocierait un partage de Jérusalem. Olmert s’est empressé de « se soumettre » à Yishai pour le bien de la coalition et de Jérusalem, la capitale éternelle du peuple d’Israël, et il a annulé le gel des colonies. Olmert s’est surpassé, le 31 mars, lorsqu’il s’est engagé envers le chef spirituel du parti Shas, Ovadia Yossef, à lever le gel des colonies dans ce qu’on appelle « l’enveloppe de Jérusalem ». Le jour même, le comité local pour la planification et la construction à Jérusalem approuvait la construction de 600 unités de logement à Pisgat Ze’ev. A propos de l’argument que cela se fait à l’encontre des engagements pris par le gouvernement à l’égard des Palestiniens, le Premier ministre a répondu, feignant l’innocence, que « Betar n’est pas une nouvelle colonie » et qu’il n’est pas nécessaire de « déclarer tous les deux jours que les quartiers de Jérusalem continueront d’être bâtis et que nous n’abandonnerons pas les blocs de colonies ».

Deux semaines et demie plus tôt, des agences de presse avaient diffusé la nouvelle selon laquelle Ehoud Barak avait proposé un marché aux colons – Tzipi Livni et Ehoud Olmert étant au courant – marché selon lequel il grossirait les blocs de colonisation destinés à rester aux mains d’Israël en cas d’accord futur avec l’Autorité Palestinienne, comme Goush Etzion, Maale Adoumim et Givat Ze’ev, tous situés dans l’enveloppe de Jérusalem (outre Ariel et Elkana). En échange, les colons seraient d’accord d’évacuer 18 avant-postes illégaux. Comme on pouvait s’y attendre, alors que l’évacuation des avant-postes reste du domaine des promesses démenties, la construction dans les colonies s’emballe.

Le plus grave est peut-être que, pour la première fois depuis l’occupation de la Vieille ville en 1967, Israël a entrepris d’inscrire au tabou [registre foncier – ndt] les propriétés du quartier juif, en dépit du fait que la plupart d’entre elles ne sont absolument pas juives. Cela constitue un dangereux précédent signifiant la mainmise sur la propriété palestinienne à Jérusalem.

Les objectifs de la colonisation à Jérusalem et dans ses environs ne relèvent pas du domaine du secret : prendre le contrôle de terres et d’une concentration palestinienne ; maintenir une majorité juive de 3/2 par rapport aux Palestiniens et, dans la mesure du possible, en faire partir de Jérusalem ; empêcher la création d’une continuité géographique entre les quartiers palestiniens et entre ceux-ci et les villes de Cisjordanie, Bethléem et Ramallah ; le mur de séparation ne fait qu’accélérer et approfondir le processus de séparation. « Al Quds » sera ainsi englouti dans « Jérusalem », coupant toute possibilité d’en faire une future capitale palestinienne.

Le dégel du gel

Puisque Yishai affirme que la construction dans les colonies et à Jérusalem-Est avait été gelée et qu’Olmert l’a dégelée suite aux pressions [du parti] Shas, mais que le Ministre au Logement Ze’ev Boim nie qu’il y ait jamais eu gel, la question se pose : oui ou non, y a-t-il eu gel ? En particulier à la lumière du fait que celui qui se balade dans Jérusalem-Est et dans les colonies qui le cernent, pourrait être impressionné par l’étendue d’une construction partout massive.

L’image est confuse, embrouillée, à cause de la grande profusion de programmes de colonisation, ou de parties de programmes, se trouvant à des étapes diverses de la planification, de l’approbation, des appels d’offres, de la réalisation. Tout cela rend plus compliqué de chercher à cerner ce qu’il y a de nouveau sur la scène de la colonisation, ce qui est la poursuite de ce qui existe déjà, et ce qui a été gelé – si tant est que quelque chose l’ait été. Il convient de souligner, dans ce contexte, que la décision prise par Olmert, fin décembre, à la veille de la visite de Bush dans la région, et selon laquelle toute construction dans les territoires conquis en 1967 et se trouvant en dehors des limites de la municipalité de Jérusalem, a besoin d’être approuvée par le Ministre de la Défense, cette décision n’est pas une décision de gel.

Cette image, Khalil Toufkaji, qui dirige l’Institut Cartographique du « Centre des Recherches Arabes » à Jérusalem, l’éclaire ainsi : « Ce qui a été gelé en 2000, ce n’est pas la construction dans les colonies qui ont été approuvées, mais la préparation de plans directeurs pour des colonies futures, comme par exemple à Givat Hamatos (près de Beit Tzfafa), dans le secteur E1 (qui réunit Ma’ale Adoumim à Jérusalem), et à Givat Ze’ev, situé en dehors du territoire municipal de Jérusalem, au nord. Mais le plan directeur de Har Homa (Jabal abou Ghneim), proche de Bethléem, bien que situé sur le territoire municipal de Jérusalem, n’a absolument pas été gelé, en dépit des protestations. »

Hagit Ofran, de l’équipe de suivi des colonies pour « la Paix Maintenant », ajoute cette éclairage : « Si quelqu’un pensait qu’il s’agissait d’un arrêt de maisons à moitié achevées dans les colonies, et du versement de dédommagements aux entrepreneurs, cela n’arrive pas. On n’a pas non plus gelé des projets qui avaient été approuvés par des comités pour la planification et la construction, même quand les travaux n’avaient pas encore commencés. Au contraire, à Har Homa par exemple, la veille de la conférence d’Annapolis, le gouvernement a décidé la construction de 307 nouvelles unités de logement et il ne l’a pas arrêtée, malgré les protestations américaines et internationales. De même, un appel d’offres a été lancé récemment pour la construction de 440 unités de logement près de Tzour Baher, au sud de Jérusalem, et un autre appel d’offres pour la construction d’un hôtel à Gilo ».

Quoi de neuf depuis Annapolis ?

Depuis Annapolis, la construction de 550 unités de logement a de nouveau été approuvée à Givat Ze’ev. En fait, le projet avait déjà été approuvé en 1999, mais l’Intifada avait alors éclaté et ce sont alors les entrepreneurs qui l’ont gelé, pas le gouvernement. En outre, le comité pour la planification et la construction à Jérusalem a, dernièrement, donné son accord pour un projet de construction de 2200 unités de construction à Givat Matos, sur les 4000 unités projetées. Ce projet avait été gelé dans le passé pour des considérations liées au plan paix, et il fait maintenant l’objet d’une procédure de soumissions des objections.

Un projet a en outre été présenté et soumis à cette même procédure pour la construction de 393 unités de logement à Neve Yaakov, situé dans les limites de Jérusalem, et qui devrait ainsi être réuni à la colonie d’Adam, en Cisjordanie. Il en est de même pour un projet de construction de 1300 unités de logement à Ramot, dont 105 se trouvant de l’autre côté de la Ligne Verte. Le Ministère des Finances a par ailleurs décidé le transfert au Ministère du Logement de 5 millions de shekels [900 000 €] pour stimuler ce projet et, d’après Hagit Ofran, on ne voit pas clairement si cet octroi est ancien ou nouveau. En outre, la construction de 600 unités de logement à Pisgat Ze’ev a reçu approbation. Khalil Toufkaji prend également en compte les nouvelles infrastructures pour les colonies qui ont été approuvées, et pointe du doigt la route de la ceinture est qui contourne Tzour Baher et Sawahara, au sud-est de Jérusalem.

Il est évident que tous les projets approuvés avant Annapolis se poursuivent à plein régime : il en est ainsi pour la construction dans le quartier « Nof Tzion » limitrophe de Jabel Moukhbar, au sud de Jérusalem. C’est le travail d’entreprises privées et pas du gouvernement, et les premiers appartements sont mis en vente ces jours-ci ; il en est de même pour les chantiers à Pisgat Ze’ev et Har Homa, dans Jérusalem, à Maale Adoumim et Beitar Ilit, dans ce qu’on appelle « l’enveloppe de Jérusalem », etc.

Un nouveau rapport publié par « la Paix Maintenant » le 31 mars, montre que depuis la conférence d’Annapolis, des appels d’offres pour la construction de 750 unités de logement ont été publiées – à comparer avec l’année passée qui avait vu la publication d’appels d’offres pour 47 unités seulement. Une enquête menée par Khalil Toufkaji aboutit à la conclusion que depuis 1968 et jusqu’à février dernier, Israël a exproprié 24000 dounams de terres à Jérusalem et dans les territoires qui lui ont été annexés, où sont établis 182000 colons. Et comme les colonies anciennes s’étendent en permanence, le nombre de colons s’élève en conséquence.

Il y a en outre, à la municipalité de Jérusalem, des projets visant à coloniser davantage encore. Rappelons simplement le projet de Boim d’établir un nouveau quartier à Abou Dis, du côté jérusalémite du Mur, sur des terres achetées par le milliardaire Erwin Moscowitz. Il a en outre déclaré son intention de bâtir 1600 unités de logement à Givat Ze’ev et Har Homa, et nous n’avons pas encore évoqué le projet d’établir un grand quartier à Atarot.

Jérusalem-Est subit des changements permanents et sa structure démographique devient méconnaissable après 40 ans de colonisation en son sein et dans ses alentours. Dans un quartier comme Cheikh Jarah, il est devenu difficile de repérer les maisons arabes d’origine, englouties dans un réseau de voies rapides, de tunnels, d’hôtels, de ministères, outre le campus universitaire sur la colline voisine, Har HaTzofim.

A l’assaut de la Vieille Ville

Un des sujets les plus sensibles à Jérusalem est peut-être le début de l’enregistrement des maisons du quartier juif de la Vieille Ville dans le tabou, une démarche chargée d’une portée politique à long terme et qui a été rendue publique pour la première fois par un article de Nadav Shragai (Haaretz, 11 mars 2008). Depuis l’occupation de la Vieille Ville en 1967, Israël s’était abstenu de régler et d’enregistrer la propriété, peut-être par crainte que cela ne soulève la question de la propriété des nombreux biens arabes situés à Jérusalem-Est depuis 1948, dans des quartiers comme Talbieh, Bakaa et Katmon, et enregistrés au tabou sous le nom de leurs propriétaires arabes, ainsi que dans l’ensemble du territoire d’Israël.

Il semble qu’aujourd’hui, Israël ait cessé de craindre de régler la propriété. L’explication de ceci se cache peut-être dans l’accord palestinien sur un partage des quartiers de la Vieille Ville selon le plan Clinton d’après lequel les quartiers juif et arménien passeraient sous contrôle israélien et le reste sous contrôle de l’Autorité Palestinienne. Et alors qu’un accord sur Jérusalem paraît plus éloigné que jamais, la prise de contrôle israélienne sur des biens arabes, via l’enregistrement au tabou, démarche totalement unilatérale, a déjà commencé.

Lors d’une conférence de presse qu’ils ont organisée à Jérusalem, le 20 mars, Khalil Toufkaji et l’avocat Asama Halabi ont clairement montré que l’enregistrement au tabou des biens dans le quartier juif était contraire au droit international. Parmi les données qu’ils ont rassemblées, il est rappelé qu’à la fin de la guerre, Israël a évacué tous les Palestiniens qui habitaient dans les immeubles du quartier juif, y compris ceux qui pouvaient produire les enregistrements au tabou prouvant qu’ils habitaient dans un bien leur appartenant. Cette opération était contraire à la quatrième Convention de Genève et aux résolutions de l’ONU.

En 1968, le Ministre des Finances de l’époque, Pinhas Sapir, avait annoncé l’expropriation, pour les « besoins de la population », de 1300 propriétés couvrant 116 dounams dans le quartier juif de la Vieille Ville, dont 790 maisons, 1048 magasins, cinq mosquées et quatre écoles. Et cela en dépit du fait que 85% environ de la propriété dans le quartier juif n’appartient pas à des Juifs. Avant cela, les Israéliens avaient fait évacuer le quartier des Maghrébins et démoli l’ensemble de ses 132 maisons, afin de construire « l’esplanade du Mur des Lamentations », et cela, alors que, parmi les maisons détruites, une seule était de propriété juive.

Israël prétend aussi que, dans la Vieille Ville, 40 dounams situés en dehors du quartier juif lui appartiennent, essentiellement dans la rue Hagaï, à proximité du Mont du Temple. En fait, explique Khalil Toufkaji, l’Etat y possède 10 biens, dont la maison de Sharon. Une partie de ces biens est de propriété juive, l’Etat a pris le contrôle d’une autre partie pour des motifs de sécurité et une autre partie est de propriétaires absents.

C’est une perte de temps

Zyad Abou Zyad, journaliste et conseiller politique jérusalémite, y insiste : « Tout le monde sait que sans accord sur Jérusalem, il n’y a pas de solution politique, tant qu’Israël n’arrête pas la colonisation à Jérusalem et alentours dans le but de le couper de la Cisjordanie et d’empêcher toute négociation à son propos. C’est un message clair, encourageant les extrémistes des deux camps, qu’Israël n’est pas intéressé par une solution politique du conflit ».

Nous ne savons pas si des négociations secrètes ont lieu entre Olmert et Abou Mazen sur la question de Jérusalem. Mais même si ces négociations existent, elles sont sans aucune valeur quand déferle sur la ville et ses alentours cette vague de colonisation qui a pour objectif de couper Jérusalem-Est de la Cisjordanie et de l’empêcher de devenir la capitale de la future Palestine. Le gouvernement Olmert n’est pas intéressé par la paix mais par l’existence d’un processus de paix sous le couvert duquel il peut poursuivre la colonisation sans y être dérangé.

Il est évident également que les protestations américaines à propos des colonies ne sont rien de plus qu’un rituel nullement annonciateur de sanctions contre Israël. La carte des colonies israéliennes en Cisjordanie, et en particulier autour de Jérusalem et dans Jérusalem, ne permet pas une solution acceptable par les deux parties et laisse pour les générations à venir un legs de violence. »

Etgar, 13 avril 2008
www.etgar.info/he/article__216

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

CAPJPO-EuroPalestine