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« Oubliez la solution à deux Etats ! »par Saree Makdisi

« Pour résoudre le conflit avec les Palestiniens, les Juifs israéliens devront renoncer à leurs privilèges exclusifs et reconnaître le droit au retour des Palestiniens chassés de leurs maisons. Ce qu’ils obtiendraient en retour, c’est la capacité de vivre en sécurité et de prospérer avec – plutôt que de lutter contre – les Palestiniens » : le point de vue de Saree Makdisi, professeur à UCLA, publié dans le Los Angeles Times.


« Oubliez la solution à deux Etats ! »par

« Il n’y a plus de solution à deux Etats au conflit israélo-palestinien. Oubliez les discussions interminables pour savoir qui a offert quoi, qui a repoussé quoi et si le processus de paix d’Oslo est mort lorsque Yasser Arafat a quitté la table des négociations ou si c’est la balade d’Ariel Sharon passant par la mosquée Al Aqsa à Jérusalem qui en fut la cause.

Tout ce qui compte, ce sont les réalités du terrain – la plus importante étant qu’après quatre décennies de colonisation juive intensive dans les territoires palestiniens conquis pendant la guerre de 1967, Israël a irréversiblement cimenté son emprise sur la terre où un Etat palestinien aurait pu être créé.

Soixante ans après la création d’Israël et la destruction de la Palestine, nous revoilà au point d’où nous sommes partis : deux populations habitant un bout de terre. Et si la terre ne peut être divisée, elle doit être partagée. Equitablement.

Je me rends bien compte qu’il s’agit là d’une position susceptible de prendre de court beaucoup d’Américains. Après tant d’années passée à poursuivre une solution à deux Etats et avec peut-être le sentiment que le conflit avait presque été résolu, il est dur d’en abandonner l’idée, jugée impraticable.

Mais impraticable, elle l’est bel et bien. Un rapport publié l’été dernier par le Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires avait établi que près de 40% de la Cisjordanie étaient maintenant absorbés par l’infrastructure israélienne – routes, colonies, bases militaires et ainsi de suite – et pour une large part inaccessibles aux Palestiniens. Israël a méthodiquement brisé ce qui reste des territoires en dizaines d’enclaves séparées les unes des autres et du monde extérieur par des zones qu’il est seul à contrôler (en ce compris, et selon le dernier décompte, les 612 checkpoints et barrages).

En outre, selon ce même rapport, la population des colons juifs dans les territoires occupés, qui approche déjà le demi million, continue non seulement de croître mais de croître à un rythme trois fois plus élevé que le taux d’accroissement de la population d’Israël. Si le rythme actuel se maintient, la population de colons doublera pour atteindre presque 1 million dans juste 12 ans. Beaucoup d’entre eux sont lourdement armés et menés par l’idéologie, et il y a peu de chances qu’ils quittent volontairement une terre qu’ils ont déclarée leur avoir été donnée par Dieu en tant que foyer.

A eux seuls, ces faits confèrent au processus de paix un statut académique.

A aucun moment depuis que les négociations ont débuté au début des années 1990, Israël n’a significativement suspendu le processus de colonisation dans les territoires palestiniens occupés, en violation flagrante du droit international. Israël était allé au devant du sommet d’Annapolis du mois de novembre en annonçant une nouvelle expropriation de propriétés palestiniennes en Cisjordanie ; il avait fait suivre le sommet par l’annonce de l’expansion de sa colonie de Har Homa par la construction de 307 nouvelles unités de logement ; et il en a depuis lors annoncé des centaines d’autres en projet dans d’autres colonies.

Les Israéliens ne colonisent pas les territoires occupés par manque de place en Israël même. Ils colonisent le pays à cause d’une vieille croyance selon laquelle les Juifs y auraient droit par la seule vertu d’être juifs. « La terre d’Israël appartient à la nation d’Israël et uniquement à la nation d’Israël », déclare Moledet, un des partis du bloc de l’Union Nationale qui dispose d’une représentation considérable au Parlement israélien.

La position de Moledet n’est pas si éloignée de celle du Premier ministre Ehoud Olmert que certains Israéliens le prétendent. Bien qu’Olmert déclare croire en théorie qu’Israël devrait abandonner les parties de la Cisjordanie et de Gaza densément habitées par des Palestiniens, il a aussi dit, en 2006, que « chaque colline de Samarie, chaque vallée de Judée fait partie de notre patrie historique » et que « nous restons fermement attachés au droit historique du peuple d’Israël sur la totalité de la terre d’Israël ».

Judée et Samarie : ces anciennes appellations bibliques sont encore utilisées par les représentants israéliens pour parler de la Cisjordanie. Plus de 10 ans après le début du processus de paix d’Oslo, qui était censé conduire à une solution à deux Etats, les cartes de manuels scolaires israéliens continuaient d’indiquer non pas la Cisjordanie mais la Judée et la Samarie, et non pas comme territoires occupés mais comme parties intégrantes d’Israël.

Quelle place y a-t-il pour les Palestiniens dans cette vision selon laquelle cette terre revient de droit aux Juifs ? Aucune. Ils sont vus, au mieux, comme un « problème » démographique.

L’idée que les Palestiniens sont un « problème » n’est pas vraiment nouvelle. Israël a été créé comme Etat juif en 1948 uniquement grâce au déplacement forcé et prémédité de la plus grande part possible de la population palestinienne autochtone, dans ce que les Palestiniens appellent la Nakba, ou catastrophe, et qu’ils commémorent cette semaine.

Un Etat juif, dit l’historien israélien Benny Morris, « n’aurait pas vu le jour sans le déracinement de 700 000 Palestiniens. … Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population. » Pour Morris, il s’agissait de l’une de ces « circonstances dans l’histoire qui justifient un nettoyage ethnique. »

Cette idée que les Palestiniens sont un « problème » à évacuer est antérieure à 1948. Elle était là dès le moment où le mouvement sioniste a mis en marche le projet de faire un Etat juif sur une terre qui, en 1917 – lorsque l’empire britannique a officiellement avalisé le sionisme – avait une population essentiellement non juive. Le seul membre juif du gouvernement britannique de l’époque, Edwin Montagu, s’opposait avec véhémence au projet sioniste qu’il jugeait injuste. Henry King et Charles Crane, dépêchés en mission d’information en Palestine par le Président Wilson, étaient du même avis. Un tel projet requérrait une énorme violence, avertissaient-ils : « Des décisions, dont l’exécution nécessite des armées, sont parfois nécessaires, mais elles ne doivent assurément pas être prises gratuitement au bénéfice d’une grave injustice. »

Elles l’ont pourtant été. Il s’agit d’un conflit commandé dès son origine par le sentiment exclusif du sionisme de disposer d’un droit sur cette terre. Y a-t-il eu aussi une violence palestinienne ? Oui. Est-elle toujours justifiée ? Non. Mais que feriez-vous si quelqu’un vous disait qu’il n’y a pas de place pour vous sur votre propre terre, que votre existence même est un « problème » ? Aucun peuple dans l’histoire n’a jamais vidé les lieux simplement parce qu’un autre peuple le souhaitait, et les sentiments de Crazy Horse et de Sitting Bull sont bien vivants chez les Palestiniens aujourd’hui encore.

La violence ne prendra fin et une paix juste ne viendra que lorsque chaque côté réalisera que l’autre est là pour rester. Beaucoup de Palestiniens ont accepté cette prémisse et un nombre croissant d’entre eux sont disposés à renoncer à l’idée d’un Etat palestinien indépendant pour embrasser à sa place le concept d’un Etat unique, démocratique, laïc et multiculturel qu’ils partageraient de manière équitable avec les Juifs israéliens.

La plupart des Israéliens ne se sont pas encore faits à cette idée. Certains, à n’en pas douter, répugnent à abandonner l’idée d’un « Etat juif », à reconnaître cette réalité qu’Israël n’a jamais été exclusivement juif et que, dès le départ, l’idée de privilégier les membres d’un groupe sur tous les autres citoyens est fondamentalement non démocratique et injuste.

C’est pourtant exactement ce que fait Israël, même parmi ses citoyens : la loi israélienne octroie aux Juifs des droits qu’elle refuse aux non juifs. Même avec le plus grand effort d’imagination, Israël n’est pas une véritable démocratie : c’est un Etat à exclusivité ethno-religieuse, qui a cherché à défier l’histoire multiculturelle de la terre sur laquelle il s’est établi.

Pour résoudre le conflit avec les Palestiniens, les Juifs israéliens devront renoncer à leurs privilèges exclusifs et reconnaître le droit au retour des Palestiniens chassés de leurs maisons. Ce qu’ils obtiendraient en retour, c’est la capacité de vivre en sécurité et de prospérer avec – plutôt que de lutter contre – les Palestiniens.

Il se pourrait qu’ils n’aient pas le choix. Olmert lui-même mettait en garde : de plus en plus de Palestiniens sont en train de déplacer leur combat, passant de la lutte pour un Etat indépendant à une lutte de type sud-africain réclamant des droits égaux pour tous les citoyens, sans considération de religion, au sein d’un seul Etat. « C’est bien sûr », notait-il, « un combat plus net, beaucoup plus populaire, et au bout du compte, beaucoup plus puissant. »

Je ne pourrais être plus d’accord. »

Saree Makdisi*

Los Angeles Times, 11 mai 2008

www.latimes.com/news/opinion/la-op-makdisi11-2008may11,0,7862060.story

* Saree Makdisi est professeur d’anglais et de littérature comparée à l’UCLA et l’auteur de « Palestine Inside Out: An Everyday Occupation », qui sort ce mois-ci chez W.W. Norton.

(Traduction de l’anglais : Michel Ghys)

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