Header Boycott Israël

Familles, dites à vos enfants de ne pas aller tuer ni se faire tuer en Afghanistan !

Ci-dessous des extraits d’un excellent reportage de Florence Aubenas dans la dernière édition du Nouvel Observateur, dans lequel la journaliste française montre l’inanité de cette guerre et le terrible résultat de la propagande militaire sur les soldats de l’armée de métier française.


(…) « Il y a un mois à peine, à la mi-juillet, le jour du départ de Paris paraissait un soulagement pour ceux du 8e RPIMa. Ils sont enthousiastes, impatients. Ils ne le cachent pas. «Enfin ! dit l’un à l’aéroport. Pour tout militaire, l’Afghanistan, c’est le must.» Ils s’y préparent depuis des mois. Ils ont tout fait, le stage d’anglais, les conférences sur les coutumes afghanes, les entraînements de pointe. Et ils ont l’impression que c’est leur tour, finalement, après toutes ces années où «le régiment n’a pas eu de chance». Qu’on se comprenne : pour un bataillon d’élite français, pas de chance, ça veut dire pas de guerre. Les combats au corps à corps sur le pont de Sarajevo, en ex-Yougoslavie ? Non, ils n’y étaient pas. L’entrée triomphale au Kosovo ? Et la bataille épique de Mazar-e- Charif, en Afghanistan, déjà ? Non plus.

Ces missions prestigieuses étaient revenues à d’autres régiments. «Nous, on s’est engagés dans l’armée pour vivre ça.» Ils veulent se battre, disent-ils. Se mesurer à un adversaire. Lequel, en Afghanistan ? Quelques-uns citent «la lutte contre le terrorisme», mais la plupart évoquent une «aventure individuelle» où revient la tentation d’«aller au bout de soi». L’un explique que «ça tombe bien» : la politique afghane de Nicolas Sarkozy vient juste de faire volte-face. Sans réel débat, subrepticement, la France est entrée dans la guerre au printemps dernier.

Sur le plan militaire, le pays était jusque- là resté en retrait, et la mission des 2 000 soldats français revenait surtout à du maintien de l’ordre ou à de la formation dans la région de Kaboul. Jacques Chirac estimait en effet que cette guerre et ces méthodes conduiraient à un enlisement. Il n’était pas le seul, et de fait une profonde fracture traverse les 40 pays de la Fias (Force internationale d’Assistance à la Sécurité) : il y a ceux qui combattent et ceux qui ne combattent pas.

D’un côté, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne considèrent que le mandat de l’ONU se limite à la stabilisation du pays et à un appui au gouvernement en place. De l’autre, le Canada, les Etats-Unis, l’Angleterre ou les Pays-Bas soutiennent que le rétablissement de la sécurité passe par un engagement armé. Or, en février dernier, les Canadiens menacent de retirer leurs troupes si d’autres alliés ne font pas un effort. Basé à Kandahar, au plus dur des combats le Canada compte en effet près de 80 morts, un des plus lourds bilans, cinq fois plus que celui de la France (14 morts avant l’embuscade du 18 août) pour un nombre comparable de soldats. Commencent les pressions américaines, insistantes. L’Allemagne refuse. Nicolas Sarkozy, lui, traverse la ligne de feu. En avril, il annonce l’envoi de 700 militaires supplémentaires, mais surtout accepte de modifier leur mission. Désormais, les Français aussi auront des consignes d’engagement.

«Nous voulions un geste lourd au moment où notre allié américain est en difficulté, dit-on au ministère de la Défense. Nous, les Occidentaux, on a les armes, l’argent. Si on n’est pas capable de réussir en Afghanistan, l’Otan éclate et ça devient la «somalisation» du monde.»

De son ? côté, Nicolas Sarkozy scande : «Et on restera jusqu’à ce qu’on gagne.» Dans les états-majors internationaux, tout le monde le sait pourtant : la question n’est pas comment gagner, mais comment ne pas perdre.

A Saroubi, 40 kilomètres à l’est de Kaboul, la base française est un fortin minuscule à couper le souffle. Posé en équilibre sur la pointe extrême d’une montagne, il paraît suspendu au-dessus du point de confluence de plusieurs vallées, juste avant l’entrée de la capitale. Là, début août, viennent se percher 150 hommes et femmes du 8e RPIMa. Ils succèdent à une mission italienne qui «repeignait les écoles». Eux, donc, feront du militaire. Ils sont contents. Les patrouilles commencent, «mais attention : à pied, pas comme les troupes US, qui ne sortent pas des blindés». En Afghanistan, l’obsession de tout soldat français est de se démarquer des Américains. Ils répètent sans cesse qu’ils ne feront pas comme eux. Ils ne fouilleront pas les maisons, ce qui effraie, humilie et radicalise la population. Ils ne pratiqueront pas la politique de la terre brûlée en détruisant les villages. Ils ne feront pas de prisonniers qui «disparaissent dans des centres secrets, style Guantanamo, ma femme l’a vu sur internet», dit un sous-officier. Ils expliquent qu’ils vont conquérir «les coeurs et les esprits». Dans les maisons de pisé, on s’invite à boire le thé, on propose de l’aide. Un gradé : «Nous, les Français, on sait être proches des populations. C’est notre tradition.»

Pilote d’hélicoptère, Patrick Le Barbenchon est parfois troublé. «On fait à la fois l’hélico des gentils et l’hélico des méchants, tantôt du riz, tantôt des bombes. Honnêtement, je ne sais pas ce que pensent les Afghans.»

Pourtant, en ce début de mission, l’émotion va plutôt vers les 700 autres soldats français qui en bavent dans la province de Kapisa, plus au nord-est. Eux aussi appartiennent au 8e RPIMa, eux aussi viennent d’arriver. Mais eux essuient un accrochage important presque chaque jour. La Kapisa raconte bien ce qu’est devenu l’Afghanistan après sept ans de présence militaire et des moyens en augmentation constante : la situation sécuritaire ne va pas mieux. Elle empire, une sorte de cercle infernal où plus les soldats de la Fias avancent, plus ils suscitent de résistance. Pour la première fois, en juillet, le nombre de morts en Afghanistan dépasse celui de l’Irak. Partout des insurgés recrutent, s’organisent, s’arment. La moitié du pays échappe désormais au contrôle des alliés. (…)

Signe de la suprématie écrasante des alliés, l’aviation est paradoxalement en train de devenir le symbole de leur faiblesse. Avec la montée des combats, les «bavures» s’accélèrent. «Les bombardements ne servent qu’à tuer les civils, pas à gagner la guerre», répète le président Hamid Karzaï, pourtant porté à bout de bras par la coalition. La semaine dernière, le pilonnage d’un lieu de prière a fait 76 morts. Une enquête est ouverte. En juillet, on ramasse 47 victimes dans un cortège de mariage, dont la fiancée. L’explication est saisissante : les Américains se sont fait manipuler par une tribu afghane qui a faussement dénoncé comme étant des talibans les membres d’un clan rival dont elle voulait se venger.

«La communauté internationale refait toutes les erreurs commises par l’Union soviétique à l’époque», dit Zamir Kabulov, ambassadeur russe à Kaboul. Entre 1981 et 1989, quand le Kremlin occupait l’Afghanistan, Kabulov était déjà en poste. «Comme nous, les alliés méconnaissent la réalité sociale et tribale. Ils se surestiment et sous-estiment les Afghans.» Aujourd’hui, la coalition a beau répéter ne pas vouloir occuper le pays, à l’inverse des Soviétiques, une histoire drôle fait rire tout Kaboul. «Quelle est la différence entre un soldat de l’Armée rouge et un soldat US ?» Réponse : «Le salaire.»

Sept ans après la chute des talibans sonne l’heure des calculs. 150 000 militaires soviétiques avaient battu en retraite au bout de dix ans. Aujourd’hui, 70 000 soldats sont en Afghanistan, dont 53 000 pour la Fias et 17 000 pour l’opération américaine Liberté immuable. Washington estime qu’il en faudrait 200 000 et continue à harceler ses partenaires. Face à cette école du chiffre, une autre soutient qu’une inflation des troupes finit par provoquer, au contraire, un rejet de la population. En réalité, aucune des deux théories n’est appliquée. Le nombre de soldats ne correspond qu’à une chose : la somme de ce que chaque allié peut envoyer sur le terrain.

«Une armée étrangère n arrive pas à soumettre un pays. Jamais. On le voit en Irak», dit le colonel Francis Giraud. (…)

Florence Aubenas
Le Nouvel Observateur

Texte intégral sur :
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2286/articles/a381800.html

CAPJPO-EuroPalestine