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« Koussaa : un charmant village », par le Pr. Christophe Oberlin

Autre témoignage du Pr. Oberlin sur les massacres dans la Bande de Gaza, publié celui-ci, dans le numéro de février de la revue Afrique Asie.


« Je suis déjà allé à Koussaa. Lors d’un voyage précédent à Gaza, il ya deux ou trois ans, le maire avait tenu à me recevoir avec mon équipe. Koussaa est un charmant village du sud de la bande de Gaza, à l’extrême Est, c’est-à-dire sur la frontière israélienne.

Le maire, nouvellement élu (hamas) m’avait accueilli la main dans la main avec l’ancien maire (fatah). Puis, avant une réunion à la fois champêtre et familiale, au cours de laquelle nous avions pu parler longuement avec sa mère, il nous avait emmenés à pied dans les champs jouxtant le village. Il y avait là des jeunes qui ramassaient des concombres et des oignons. Les pastèques n’étaient pas encore mures. Le paysage, bien que très plat, ouvrait une belle perspective au loin, vers l’est. Dans cette direction, à peut être cinq ou six cent mètres, le regard était arrêté par une bande verte continue : une abondance de verdure. « Israël, » me dit il .

Entre la verdure et nous, à peine visible après qu’on nous l’eut signalée, on apercevait à peine une clôture de grillage. De loin celle-ci ressemblait aux clôtures qui bordent nos autoroutes. Mais elle était peut-être plus haute, car si loin. Avec la différence que s’échelonnaient ici, tous les deux ou trois cent mètres, ces hautes tours de béton gris, fendues de meurtrières, flanquées de filets verts, qui ont fait la réputation israélienne, au plan de l’architecture comme de la cruauté. « Electronic fence » (barrière électronique), nous dit –on.

Soudain, alors que nous nous félicitions de la qualité de l’air, du temps qu’il faisait, et aussi du paysage, surgit un camion pick-up nickelé, chargé de policiers palestiniens, en tenue irréprochable, armés, talky walky grésillant. Mes amis palestiniens me traduisent, narquois, « que les israéliens les ont appelés pour nous dire de déguerpir ». Le maire commence à parler aux policiers, quand nous entendons la déflagration d’un coup de feu : tir de semonce parti de l’une des tours anonymes, sans doute. On ironise sur le rôle réel de ces « policiers » : au service de qui sont-ils ? Et nous déguerpissons.

Koussaa est donc un charmant village, que l’armée israélienne a attaqué avant-hier (le 16 janvier 2009), par air et par terre (les tanks, pas l’infanterie !).

Les blessés que nous recevons sont en effet tous atteints de lésions délabrées majeures: membres explosés, troncs et cranes criblés de perforations : ce ne sont pas les blessures infligées par des soldats à pied. Ce sont les blessures crées par les éclats des bombes les plus récentes, dont j’ai appris récemment, en préparant une conférence sur les blessures de guerre, que chaque fragment est éjecté à 2300m/s, soit trois fois plus qu’une balle de Kalachnikov. Les corps déchiquetés qui nous sont livrés ressemblent à ceux du massacre de Djabalia d’octobre 2004 (mais qui s’en souvient ?).

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Mes amis palestiniens insistaient déjà à l’époque sur ces obus qui, perforant les toits et les murs, coupaient les deux jambes ou les deux cuisses des habitants restés à l’intérieur, avec des corps recouverts d’une épaisse et collante pellicule noire à l’odeur si particulière.

Gaza est en effet, depuis des années, le champ d’expérimentation des armes dernier cri, comme le lieu de déstockage des armes périmées : ce matin, un diplomate français nous a joint au téléphone: Gaza a bien été bombardée au phosphore. Et que l’on ne nous dise pas que Koussaa constituait « un bastion du Hamas », formule consacrée pour justifier tous les crimes. Ce jour, nos blessés sont une jeune fille de 14 ans, dont le père a été tué sur le coup, un jeune homme de 25 ans qui portent le même nom de famille.

Quand je sors du bloc opératoire, vers 23 heures, un jeune homme m’accoste gentiment : What is your name ? Where are you from ? Je lui retourne la question. « I am from Koussaa . And I would like to visit France ».

Christophe Oberlin

CAPJPO-EuroPalestine