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GAZA : L’expérience du Dr Zouhair LAHNA

Récit du Dr Zouhair LAHNA*, qui a séjourné dans la Bande de Gaza pendant deux semaines après le cessez-le-feu, et qui en repart avec un sentiment d’admiration et d’envie face à l’esprit d’indépendance et de fratenité qu’il a rencontré sur place.


(…) Le retrait de l’armée nous a permis d’accéder vers le nord de Gaza. C’est le choc des destructions et des témoignages.

Les quartiers périphériques ont été rasés de façon méthodique. Les témoins nous racontaient comment les soldats procédaient. Après avoir encerclé une maison par les chars, les soldats capturent un Palestinien, lui demandent de casser la porte, de réunir les habitants, les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre, les compter. Ensuite faire des ouvertures entre les murs des pièces attenantes et revenir vers les blindés. La deuxième étape consiste à envoyer un chien muni d’une caméra, d’un écouteur et d’un gilet pare balles. Le chien fait un tour dans la maison en suivant les indications transmises via l’écouteur ! On vérifie la véracité des dires du Palestinien pour commencer la troisième étape, qui consiste à évacuer la maison de ses occupants et placer des mines afin de raser complètement l’habitation Si des tirs émanent de la maison ou si le chien est blessé, alors c’est une avalanche de tirs à bout portant par les chars sur la maison avec ses occupants.

L’histoire la plus sordide est celle qui a été vécue par la famille Samoini à Hay Zeitoun. Suite à l’explosion d’une bombonne lors du passage des blindés, le quartier a été encerclé. Les soldats se sont appliqués à tirer de tous les côtés et avec toutes les armes qui étaient en leur possession, sur la maison suspecte. Une fois la famille réunie, trente huit personnes seront exécutées : hommes, femmes et enfants. Un massacre.

Mes visites des quartiers sinistrés m’ont énormément marqués. Chaque soir, je rentrais exténué. Rien n’a été épargné, les arbres ont été arrachés, les animaux exécutés à bout portant par des blindés ou des mitraillettes, les champs dévastés par les chars, même les morts n’ont pas été laissés en paix dans le cimetière. Les mosquées ont été détruites ou abîmées. Il nous paraissait qu’il y avait chez certains pilotes, un malin plaisir à viser les minarets. Les hôpitaux n’ont pas été en reste, ainsi que les ambulances et les écoles de l’UNRWA.

Depuis une dizaine d’années que je travaille dans les ONG de solidarité internationale, que je voyage dans des parties troubles ou sinistrées, je rencontrais peu de musulmans sur le terrain. Non pas qu’ils soient insensibles aux conditions difficiles des personnes. Mais simplement, ils sont pris par le quotidien ou ce qu’appelle Stuart Mill dans son livre ‘’ De la liberté ‘’, ils s’occupent d’abord des besoins primaires comme la nourriture, assurer un logement et une éducation à leurs enfants et leur permettre de se soigner. Prendre de son temps, son énergie, son argent et son savoir pour aller vers l’autre, et sans contrepartie immédiate, fait partie de la réalisation d’un besoin secondaire, comme s’organiser en associations caritatives, syndicales ou politiques, se cultiver et se surpasser. Et c’est justement ce qui a motivé les dizaines de médecins musulmans à tout laisser (hôpitaux, cabinets, familles, enfants, argent…) et à vaincre leurs phobies pour s’aventurer dans une zone de guerre !! Les autres intellectuels ou les élites n’étaient pas en reste, et chacun souhaitait faire quelque chose pour les Palestiniens de Gaza.

Tout le monde a ressenti une profonde humiliation. Même l’élite arabe acculturée et qui ne jure que par l’Occident s’est trouvée désorientée.

Voilà le monde civilisé, moderne, démocrate et bien pensant. Les donneurs de leçons, apôtres des droits de l’homme et des libertés, ne bougent pas le petit doigt, face aux exactions d’une force militaire occupante et destructrice. Une mise en scène occidentale qui ne cache plus son visage et une faiblesse régionale humiliante pour les arabes et les musulmans.

Nous avons du mal à interroger l’histoire, surtout récente, celle des colonisations et de la création d’un état sur la terre de Palestine. Malheureusement, on est pressé, on souhaite faire une lecture rapide et sans retour aux sources. Et justement, cette agression sur 1.5 million de Palestiniens encerclés dans une bande, va peut être réveiller une partie des musulmans. Du moins, on ne peut que l’espérer !!

Certes, nous sommes nés dans le sous développement et l’humiliation, mais nous n’en sommes pas responsables !! Par contre, nous sommes responsables de nos pensées et nos actes !!

Malgré tout ce que j’ai observé, les sinistrés que j’ai rencontrés restaient dignes. Personne ne demande quoi que se soit. Ils vous invitent à visiter ce qui leur reste comme maison ou à s’assoir sur les débris des leurs anciens abris. Ils nous racontaient ce qui s’est passé. Une sorte de thérapie et de transmission du témoignage. Pas mal de fois, on a refusé la modeste aide matérielle qui m’a été confiée par des amis. J’ai dû utiliser des astuces pour leurs donner un petit quelque chose.

Cette dignité qu’on a perdu dans d’autres pays laisse le voyageur que je suis admiratif. Je me suis dit c’est ce peuple meurtri qui donne des leçons de courage et de résistance à tous les autres peuples musulmans.

Je ne savais plus qui a vraiment besoin de l’autre. Les Palestiniens de Gaza ou les peuples arabes ?

Un mot revient souvent ces derniers temps c’est celui de l’embargo des individus et de leurs volontés. Le temps passé sur place m’a permis de mesurer une partie des difficultés qu’endurent les Palestiniens de Gaza.
Ils ont du mal à quitter le territoire, à avoir l’électricité, le gaz, à trouver le nécessaire pour cuisiner et manger, s’habiller.

Ils ont développé des astuces pour continuer à vivre. Comme mon ami Abdelhalim Abousamra du Centre Palestinien des Droits de l’Homme qui utilise une batterie avec quatre petites ampoules afin d’assurer une lumières pour ses enfants, afin qu’ils puissent continuer à étudier, et s’affranchir partiellement du courant électrique qui n’est disponible que trois heures par jour, de façon aléatoire. La batterie est rechargée par une énergie fournie par un tapis roulant de sport. Les cuisinières fonctionnent désormais au pétrole par un système inventé sur place afin de palier la pénurie du gaz. Abou Nidal, notre chauffeur m’apprend que le gaz arrive d’Egypte vers l’état sioniste à prix modique, traité et mis dans des bonbonnes, son prix est multiplié par 40, et il n’est disponible que par la volonté des occupants.

A Gaza, la famille est soudée et tout le monde se soutient et je dirais même s’aime et s’entraide. Ce qui les éloigne de la culture de l’individualisme et l’égoïsme.

L’esprit de la grande famille y résiste encore. On trouve dans les maisons trois voire quatre générations.

A Gaza, les acteurs médicaux que j’ai côtoyés traitent les patients avec respect et diligence. Il n’y a pas de corruption pour avoir ses droits, les services des urgences et les ambulances sont équipés en matériel et médicaments et les soignants font de leur mieux, leur travail tout en respectant le patient, personne ne se permet de se servir pour ses besoins personnels !!

A Gaza, les femmes ont un niveau d’études des plus élevés dans le monde arabe, travaillent souvent, ce qui ne les empêchent pas d’avoir beaucoup d’enfants, de s’en occuper correctement et de veiller à leurs réussite scolaire. Elles ont mis en échec tous les plans de limitation de naissances avec une moyenne annuelle de 6.2 enfants par femme. C’est leur façon de résister !!

Je ne sais plus qui est à plaindre, les Palestiniens de Gaza, colonisés et encerclés dans un petit territoire, mais libres de toute aliénation malsaine. Ou nous autres libres dans nos déplacements mais privés de liberté, car dépendants et aliénés. J’ai compris pourquoi les Palestiniens de Gaza sont agressés si cruellement, c’est pour casser une volonté et faire fléchir une dignité. Les autres peuples qui n’ont ni l’une ni l’autre, il n’y a pas besoin de leurs faire la guerre. Ils sont vaincus tout seuls.
(…)
Les Palestiniens de Gaza ont perdu plus de cinq mille logements et vingt cinq mille familles sont sans toit. Combien, j’ai été attristé de savoir qu’un bateau iranien qui contenait des sheltters (maisons préfabriqués) n’a pas été autorisé à décharger son contenu à Al Arish !! Il a du repartir vers le Liban. Et jusqu’à présent les Palestiniens sinistrés devraient trouver refuge chez leurs familles ou se contenter de tentes s’ils en trouvent.

Deux semaines après l’arrêt de bombardements, j’ai dû quitter mes nouveaux amis palestiniens pour reprendre le chemin du retour. J’ai été fatigué de mes longues journées, mais je ne pouvais leur dire qu’un au revoir. J’essayerai de revenir les voir, travailler, soigner et enseigner. Revenir pour partager les repas de Houmous, huile d’olive et fallafel. Boire du thé et du café turc. Sentir ce vent doux des après-midis et la bonté des habitants de cette terre bénie. Parler avec des personnes plus proches de mes préoccupations et mes espérances.

Je disais toujours à ma famille et mes amis qui me demandent depuis de longues années pourquoi j’aimais tant voyager vers des zones de troubles. Je leur répondais à chaque fois, qu’il faut remettre les choses dans leurs dimensions. Ce ne sont pas les personnes que je vois et je soigne lors de mes voyages qui ont besoin de moi, c’est plutôt le contraire. Allez vers l’autre c’est une partie de toi que tu retrouves, et les gens dans leurs milieux, même dans les pires situations, comme on peut imaginer actuellement que Gaza, peut offrir un trésor d’humanité.  »

Dr Zouhair LAHNA

Médecins du Maroc

* Le Dr. Zouhair est parti avec une délégation française conduite par la sénatrice Alima Boumediene-Thiery, mais il est resté sur place une fois cette délégation repartie. Nous n’avons pas reproduit son introduction qui décrit notamment l’attente au Caire et les difficultés pour franchir la frontière de Rafah, déjà racontées par plusieurs témoins.

CAPJPO-EuroPalestine