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Tunisie, Egypte : ce qui alimente la répression au Moyen-Orient

Une analyse intéressante qui rappelle les enjeux économiques et les ressources sur lesquels l’impérialisme a assis les régimes autocratiques arabes au cours du 20ème siècle.


« Cela a commencé avec le coton et le pétrole : opprimé, le Moyen-Orient cherche désormais sa liberté et un futur. La règle autocratique, maintenant contestée en Tunisie, en Egypte et ailleurs au Moyen-Orient s’enracine dans le système étatique qui s’est développé dans la région au cours du vingtième siècle. Ce système est fondé sur une économie politique largement créée pour un transfert commode de ressources – principalement des énergies fossiles – de la zone vers le monde industrialisé. C’est un système qui non seulement opprime les populations des états qui ont été mis en place mais qui joue un rôle crucial dans l’évolution climatique.

Ce système étatique dans le Moyen-Orient d’aujourd’hui dérive de l’entreprise coloniale européenne dans la région, entreprise dont l’objectif était l’obtention de ressources naturelles – d’abord le coton, puis le pétrole – ainsi que des avantages stratégiques incluant des voies navigables et des emprises territoriales en Asie et en Afrique.

Ces ressources et avantages devaient servir des objectifs à la fois économiques et géopolitiques, qui depuis la fin du dix-huitième siècle faisaient partie intégrante de l’industrialisation et de l’expansion économique en Europe et en Amérique du nord.

Le coton du bassin du Nil procurerait une grande partie de la matière première requise par les usines anglaises dans les débuts de la Révolution industrielle. D’autres liens commerciaux et culturels ont conduit à une expansion de la présence politique et militaire européenne dans la région. La Grande Bretagne, la France, la Russie, l’Italie et l’Allemagne rivalisaient d’influence et de pouvoir dans un Moyen-Orient gouverné depuis des siècles par l’Empire Ottoman. Au début du vingtième siècle, ce sont les rivalités entre les puissances européennes qui ont suscité la première Guerre Mondiale.

Avec la chute de l’Empire Ottoman, conséquence de la guerre, les possessions et les sphères d’influence britanniques, françaises et italiennes au Moyen-Orient ont permis à ces puissances de mettre en place des politiques et d’installer des élites dirigeantes là où aucune ne préexistait, afin de servir leurs intérêts économiques et politiques.

Dans la sphère britannique, des territoires placés sous l’autorité d’un cheikh, des royaumes et des émirats ont été créés en Egypte, au Soudan, à Oman, en Arabie, dans ce qui est maintenant les Etats Arabes Unis, en Palestine, en Irak, en Transjordanie et au Koweit. Dans la sphère française, des parties du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de la Syrie et du Liban ont de la même façon été allouées à des élites dirigeantes dont les intérêts coïncidaient avec ceux des puissances européennes. Quant à la Lybie, elle a été créée à partir de possessions italiennes.

Le facteur pétrolier. Par suite de l’industrialisation croissante de l’Occident et des besoins en pétrole pour l’alimenter, le Moyen-Orient est devenu de plus en plus important comme source de combustibles fossiles. Avec, dans la première moitié du vingtième siècle, la montée, notamment arabe et perse, d’une opposition nationaliste au colonialisme et à une autorité directe, des formes alternatives de contrôle ont été conçues, de façon à accorder aux habitants de la région une indépendance de façade, tout en garantissant l’acheminement vers l’Ouest de pétrole à bon marché.

Les puissances occidentales se sont alors engagées dans une série de mandats, de protectorats et autres accords locaux avec les hommes forts et les élites. Ce qui incluait des chefs tribaux, religieux et ethniques – les Hachémites (Palestine, Jordanie, Irak), les Séoudiens (Arabie Séoudite), les Al-Khalifas (Bahrein), les Abou Saïds (Oman), les Al-Thanis (Qatar), les Al-Sabahs (Koweit), les Pahlavis (Iran) – aussi bien que des élites économiques comme les Maronites au Liban et les hommes forts de l’armée en Syrie et en Egypte, de façon à instaurer une batterie d’états – émirats, royaumes et républiques autocratiques.

Les politiques qui en sont sorties ont souvent été dépourvues de toute continuité historique et d’intégrité géographique ; elles n’étaient pas davantage conformes aux réalités sociales, culturelles et linguistiques. Certains groupes ethno-nationaux tels que les Kurdes, dont le pays, le Kurdistan, a été une entité socio-culturelle distincte tout au long de l’histoire, se sont trouvés divisés par les frontières de cinq état nouvellement créés (Turquie, Syrie, Irak, Iran et l’ancienne Union Soviétique).

De façon non moins aberrante, un pays dénommé Irak a été créé à partir d’un mélange de régions kurdes, arabes sunnites et perses chiites.

C’est de la même manière, encore, que le gigantesque pays connu comme le Soudan a été découpé à partir d’une région à prédominance arabe dans le nord, à laquelle un sud africain a été greffé à la seule fin de donner aux Britanniques un accès au Nil,, aux riches terres à coton et autres récoltes qui le bordent et, enfin, aux champs pétrolifères du sud.

Les courants religieux et sociaux ont été manipulés et des croyances de légitimation instaurées, afin de justifier la montée au pouvoir des diverses élites récemment installées, tandis qu’ont été injectées dans leurs trésoreries des royalties qui leur étaient versées à partir de la manne pétrolière – revenus tirés de la vente de l’or noir, de plus en plus convoité par l’Occident.

Des énergies fossiles pour le nord. Les nouvelles élites installées au Moyen-Orient appréciaient le parrainage européen et américain (comme celui de l’Union soviétique, dans le cas de la Syrie, de l’Egypte, et de l’ancienne république populaire du Yemen), et avaient pour partenaires les compagnies pétrolières occidentales : Shell (anciennement Royal Shell, une entreprise anglo-néerlandaise),British Petroleum (BP, anciennement anglo-iranienne) ainsi que les firmes américaines Gulf, Texaco, Mobil, Standard de Californie et Standard du New Jersey.

Ces firmes et d’autres recouraient à un schéma d’activité particulièrement insidieux qui garantissait aux actionnaires européens et américains des profits exorbitants, et des revenus amoindris aux finances des états nouvellement créés. Des nationalistes et des intellectuels contestaient ce système de transfert des ressources, qui subventionnait essentiellement les économies riches sans accroissement de bénéfices pour les peuples de la région ; s’en sont suivis des cycles d’agitation, de cooptation et de répression.

Seuls les gouvernants de ces pays, les élites qui avaient été installées par les gouvernements occidentaux tiraient profit de cet arrangement. Ce qui a conduit à un durable ressentiment anti-occidental parmi de nombreux habitants, en même temps qu’à la défiance et au mépris envers les élites dirigeantes.

Une culture de la répression. La culture politique dominante au Moyen-Orient au cours des six dernières décennies s’est caractérisée par la gouvernance autoritaire, la répression anti-démocratique, les violations des Droits de l’Homme, l’absence de libertés civiles, enfin par l’exploitation économique des masses de citoyens et de travailleurs étrangers dénués du droit de vote.

Des dizaines de millions de gens à travers l’Afrique du nord, l’Asie occidentale et la Péninsule arabique n’approuvent plus l’acceptation passive d’un système intrinsèquement injuste. Ces gens demandent maintenant à être écoutés et ils revendiquent une part équitable du futur.

Tandis que l’Egypte, la Tunisie, le Yémen, la Jordanie et le Liban – et, on peut le supposer, tôt ou tard le reste de la zone – sont aux prises avec des vagues montantes de désaffection de la part de citoyens qui refusent d’être soumis aux abus et à l’exploitation, une nouvelle ère commence dans la région. Non seulement la justice devient l’horizon potentiel de dizaines de millions de personnes, mais le système qui a généré le changement climatique – combustibles fossiles à bon marché et capitalisation outrancière – est en train de chanceler.

Il n’y a aucune garantie que des sources d’énergie alternatives et des systèmes d’économie durable vont prévaloir du jour au lendemain. Néanmoins, avec ces nouveaux souffles de changement, il se peut qu’un lien décisif se rompe dans l’addiction mondiale au carbone. Le nouveau Moyen-Orient pourrait être conduit par des gouvernants moins intéressés à amasser une richesse personnelle fondée sur les ressources pétrolières et plus attentifs à pourvoir aux besoins fondamentaux de leurs peuples.

Par Yosef Gotlieb

Source : [http://www.greenprophet.com/2011/02/what-fuels-middle-east/
->http://www.greenprophet.com/2011/02/what-fuels-middle-east/]

(Traduit de l’anglais par Anne-Marie Perrin pour CAPJPO-EuroPalestine)

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