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Interview de Ronnie Kasrils avant sa venue à la librairie Résistances !

Ronnie Kasrils, l’un des rares sud-africains blancs à avoir combattu dès 1960 au sein de l’ANC contre l’apartheid, nous fera l’honneur de présenter le jeudi soir 13 octobre, à la librairie Résistances, son livre « L’improbable espionne », consacré à l’engagement extraordinaire de sa femme Eleanor dans la lutte armée, les sabotages et la clandestinité, pour vaincre la ségrégation. Ci-dessous une interview passionnante que nous avons réalisée, avant sa venue la semaine prochaine.


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A l’occasion du 25ème anniversaire de l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud (juin 1991), et du 10ème anniversaire de la librairie Résistances, Ronnie Kasrils, l’un des cadres du Congrès National Africains (ANC), présentera le récit étonnant d’une Écossaise élevée dans une famille de la bourgeoise blanche de Durban, qui fit des choix très courageux après les massacres de Shapeville en 1960.

Eleanor Kasril connut la prison et ses brutalités. Elle fut même enfermée dans un redoutable asile psychiatrique, dont elle réussit à s’échapper de manière rocambolesque. Mais jamais, elle ne cessa de lutter, par tous les moyens, pour la justice et l’égalité des droits.

Ronnie Kasrils, de passage à Paris, nous en parlera de vive voix et dédicacera son livre, « L’improbable Espionne » (Editions Mardaga), le jeudi 13 octobre à partir de 19 H, à la Librairie Résistances :

4 Villa Compoint (angle du 40 rue Guy Môquet) – 75017 Paris.

M° Guy Môquet ou Brochant (ligne 13. Bus 31 : arrêt Davy-Moines.

Tel : 01 42 28 89 52

INTERVIEW DE RONNIE KASRILS PAR CAPJPO-EuroPalestine (texte en anglais ci-dessous)

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Que répondriez-vous à ceux qui vous traiteraient de terroriste, estimant que vous devriez être encore en prison ?

Eh bien oui, s’il en est ainsi, le Régime d’Apartheid a eu raison de classer Nelson Mandela comme terroriste et de le laisser en prison pendant vingt-sept ans. Le Régime de Vichy et les collaborateurs de Vichy – pourrait-on dire avec un tel raisonnement tordu – avaient raison de torturer et d’exécuter les membres de la Résistance française ou quiconque les soutenait.

Ceux qui mènent une guerre juste contre la tyrannie, comme en Angola, au Mozambique, au Vietnam et en Algérie, avaient le devoir moral et le droit de combattre pour la liberté avec des moyens appropriés. Quand un changement pacifique est impossible, un changement violent est reconnu comme légitime.

L’ancien Président des USA, John Kennedy avait bien dit : « Ceux qui rendent impossible le changement pacifique, rendent le changement violent inévitable ». Le droit international reconnaît le droit des peuples à prendre les armes dans de telles circonstances. Les partisans, cependant, devraient s’efforcer d’obéir à la Convention de Genève. Le Congrès National Africain (ANC) a signé ces Accords et nous avons rejeté l’emploi de méthodes terroristes que nous définissons comme des attaques contre la population civile.

De nos jours, la non-violence (sauf pour les états) est censée être la seule option. Que faire quand on se trouve confronté à un terrorisme quotidien ? (Attaques contre des ouvriers en grève et les manifestants pacifiques, bombardement des populations civiles pour leur apprendre la démocratie…)

Il faut examiner le contexte particulier. Est-ce qu’on parle d’un état démocratique où l’état de droit s’applique ? Tant qu’il est possible d’obtenir un changement par le processus électoral, l’urne vaut mieux que la balle mais ça n’exclut pas le droit à la protestation civile légitime sous toutes ses formes. Évidemment, il existe de nombreux pays démocratiques où la brutalité de la police est inacceptable, où les protestataires ou les grévistes se sentent provoqués. S’il y a lieu, il faut recourir au système légal et dénoncer une telle brutalité. Il vaut mieux maintenir la discipline et protester activement mais pacifiquement.

Plus la protestation ou la grève est importante, plus puissante est la revendication. Les autorités ou les patrons sont plus enclins à céder lorsque l’unité de la protestation ou de la grève est à son maximum. Les protestations pacifiques et disciplinées sont susceptibles d’attirer le plus grand nombre de gens. Il faut considérer ces éléments quand on organise des grèves ou des protestations. Quant aux bombardements de populations civiles, comme en Syrie, au Yémen, en Irak, il s’agit d’une situation de guerre et ma réponse à votre première question s’applique ici. Et Israël est le type même d’Etat qui pratique le terrorisme d’Etat avec une occupation brutale, et des bombardements de populations civiles comme à Gaza ou au Liban. Cependant, soyons très clairs, aucun révolutionnaire ne devrait souscrire au terrorisme contre la population civile.

Pouvez-vous donner des exemples de votre combat clandestin de 30 ans ?

Nous avons beaucoup appris de l’expérience internationale. Nous avons lu des livres sur les combats clandestins, sur la résistance contre le fascisme partout dans le monde. Mais évidemment, nous avons appris le plus, de nos propres conditions et de notre expérience. Nous avons commencé par peindre des slogans sur les murs. Nous avons installé des imprimeries et des systèmes émetteurs clandestins.

Les communications modernes, tels les réseaux sociaux est un progrès inimaginable sur ces vieilles méthodes mais celles-là peuvent être aisément bloquées par l’état. Imaginez sous une dictature censoriale, l’impact d’un slogan sur un mur, une banderole drapant un bâtiment, des tracts déversés dans les rues. Nous avons sans cesse organisé ce genre d’actes, qui disaient, y compris pendant les pires jours de l’Apartheid que le peuple allait triompher.

Lorsque nous avons appris que des militants grecs, après le coup d’état des colonels de 1967, avaient loué une chambre d’hôtel donnant sur la place principale d’Athènes, et installé un système émetteur pour dénoncer les conspirateurs (évidemment après être partis), ça nous a fait réfléchir. À l’aide des premiers magnétophones apparus sur le marché, nous les avons modifiés avec de puissants amplificateurs miniatures, chargés de messages enregistrés et plantés dans des endroits publics stratégiques afin de transmettre les messages de la résistance, avec synchronisation des jours et heures à travers tout le pays. Nous avons développé une stratégie nommée « Les Quatre Piliers du combat » : combat politique de masse, renforcé par des actions armées, une organisation clandestine et une solidarité internationale.

Ce troisième pilier a entraîné la formation d’un réseau clandestin qui a donné un pouvoir politique au peuple, a aidé les combattants de la résistance, a divulgué le message de résistance du Mouvement et a créé des liens avec le monde extérieur. Le but était de coordonner les tâches des quatre piliers – pousser le peuple à agir, le guider et isoler le régime d’Apartheid.

Ces trente ans pendant lesquels nous avons été interdits (1960-90) a coïncidé avec mon rôle – celui d’un jeune homme de 21 ans – dans les manifestations publiques ; comme membre de l’aile armée à partir de 1961 ; participation aux activités de sabotage suivie de 27 ans d’exil, qui ont permis la mobilisation internationale pour le mouvement anti-Apartheid : recrutement de ceux qu’on appelle en français « porteurs de valises » (courriers transmettant des fonds et des documents de l’étranger à la résistance), enseignement de la politique dans nos camps de partisans en Angola et en Mozambique, obtention du poste de chef du renseignement militaire dans notre branche armée, déguisements fréquents et variés pour effectuer des missions à l’intérieur de l’ Afrique du Sud.

Il existe vraiment une atmosphère qui ressemble beaucoup à la montée du fascisme des années trente : racisme institutionnel, de moins en moins de droits pour le peuple, droits humains et droit international non respectés dans les soi-disant pays démocratiques ; en plus, Israël que l’on donne en exemple en ce qui concerne « les méthodes de sécurité ». Comment faire face à cette situation, à votre avis ?

Il faut absolument se saisir de la question des droits humains et du droit international dans les tribunaux quand cela est possible. Nous ne devons pas abandonner ce domaine, ce qui signifie mobiliser les ressources des grands juristes et faire une action internationale. Les forces populaires nationales et internationales doivent agir à l’unisson. Les combats légaux et publics doivent se faire côte à côte. Cela veut dire qu’il faut défendre sans relâche les droits acquis au cours des décennies et même des siècles dans nos « Démocraties Occidentales », ce qui demande d’exiger l’application de ces droits dans les pays récemment émergés, tels que ceux d’Europe de l’Est.

Notons que les gouvernements de droite, tels que la Turquie et Israël, sont venus au pouvoir approuvés par l’Union Européenne et l’OTAN. L’état sioniste n’est pas un état que l’on devrait présenter comme modèle de démocratie et de sécurité. C’est le colonialisme des puissances d’Europe Occidentale, plus tard avec les USA, qui est responsable du pillage des deux tiers du monde et des guerres brutales menées contre les peuples indigènes. Tout ceci a créé des souffrances indicibles dans les pays colonisés et un climat de haine raciale en métropole, qui, aujourd’hui, est malheureusement toujours ancré dans certaines sections de la population. Ce sont ces gens ignorants qu’exploitent les fanatiques de droite – comme ce fut le cas en Allemagne nazie – et qui deviennent prisonniers du démagogue.

Israël est le produit le plus récent de cette ère coloniale et suit le même chemin sous Netanyahou et ses prédécesseurs. Ses pratiques racistes et ses mesures de sécurité sont les conséquences des échecs politiques des anciennes puissances coloniales auxquelles adhère Israël en les « perfectionnant ». Les leçons de l’histoire indiquent le besoin de bâtir l’unité de toutes les couches sociales, d’aller à l’encontre des tendances anti-démocratiques et de proscrire le fascisme, répandre l’humanisme, la tolérance et l’internationalisme, afin de faire prévaloir la paix et la sécurité.

Le boycott d’Israël est baptisé antisémitisme par nos politiques et les médias sous l’influence du lobby israélien dans de nombreux pays européens. Comment le boycott des produits sud-africains a-t-il aidé durant le régime d’Apartheid dans votre pays ?

Le stratagème qui consiste à qualifier quiconque ou toute action contre Israël d’antisémite, est trompeur – un manque de raisonnement – et illustre un esprit dénué de moralité.
Être contre Israël, c’est-à-dire contre sa politique et ses méthodes, n’a rien à voir avec l’antisémitisme ou le judaïsme. L’opposition à Israël ou au Sionisme ne se met pas en équation avec l’opposition aux Juifs. Israël est un état fondé sur l’idéologie sioniste. Le Sionisme est une doctrine politique. Une majorité de Juifs, y compris des rabbins, se sont opposés au Sionisme à ses débuts. Il y a eu des débats passionnés parmi les Juifs au sujet du Sionisme. De plus en plus de Juifs partout dans le monde et une courageuse minorité à l’intérieur d’Israël, s’opposent vivement à la politique d’Israël. Les Sionistes attaquent ceux qu’ils nomment « Juifs antisémites » qui défient le mythe selon lequel, normalement, tous les Juifs devraient être défenseurs d’Israël.

Critiquer Israël n’a rien à voir avec l’antisémitisme, tout comme être opposé à un état qui pratique le christianisme ne signifie pas être antichrétien. Nous sommes sur le même plan moral et légal que l’Archevêque Desmond Tutu, le Professeur Stephen Hawking, le Professeur John Dugard et la Professeure Angela Davis.

La minorité de blancs d’Afrique du Sud, qui s’opposaient au système et se mirent du côté de la lutte de la population noire, ont également été attaqués comme traîtres.

En fait, la lutte pour la libération, a libéré tous les gens sans distinction d’origine. La lutte contre le Sionisme à l’intérieur d’Israël, qui aboutirait à l’égalité entre tous, libérerait Juifs et Arabes. Changer le système de droit et d’exclusivité des Juifs, à la base du Sionisme, ne signifie pas renvoyer tous les Juifs de la Palestine historique. De la même manière, le système de gouvernement d’Afrique du Sud n’a pas signé la fin de la population blanche.

L’arme du Boycott contre l’Apartheid sud-africain fut le pilier fondamental de la lutte pour la libération. Le mouvement de boycott avait commencé vers 1959, au moment où Julius Nyerere, parmi d’autres, s’était adressé à une foule, à Londres, demandant à la Grande-Bretagne, en tant que puissance commerciale liée à l’Afrique du Sud, de répondre à l’appel de la part de l‘ANC et de l’Afrique en général, de cesser son commerce avec l’état-Apartheid. Cet appel allait faire boule de neige au cours des années, et s’étendre pour inclure le désinvestissement et les sanctions. Un moyen important d’isoler le régime et d’inspirer le peuple combattant du pays.

La campagne BDS contre l’Apartheid en Afrique du Sud a réussi à englober des pays et des gens à travers le monde, a finalement été défendue par les Nations-Unies (ONU), mais cela a mis du temps !

Comment avez-vous choisi vos cibles, en matière de boycott ? Et combien de temps a-t-il fallu pour mettre en œuvre ce boycott dans le reste du monde ?

Ce sujet est si vaste que je vais mettre l’accent sur quelques aspects à titre d’illustration. Au lancement de l’appel au boycott en 1959/60, on a décidé de se concentrer sur deux produits fruitiers iconiques qui étaient les produits phares du commerce d’outremer sud-africain – à savoir l’orange Outspan et le raisin du Cap. On trouvait ces produits dans les magasins britanniques et européens. Le mouvement contre l’Apartheid (AAM) a produit des affiches étonnantes et on a aussi distribué des tracts devant les magasins. L’éducation sur l’éveil de la conscience a ciblé les syndicats, les communautés religieuses, les femmes au foyer et les écoles.

L’organisation était stratégique, destinée à introduire un boycott général de tous les produits d’Afrique du Sud. On a établi des listes. En plus de la Grande-Bretagne, les pays scandinaves et les Pays-Bas sont devenus les principales cibles d’une telle activité qui s’est étendue à travers l’Europe Occidentale, marché le plus important pour les produits d’Afrique du Sud. Dès 1988, le boycott du grand magasin « Dunnes Store », à Dublin, en Irlande, a eu tellement de succès qu’il a forcé le gouvernement à adopter la résolution d’interdire tous les fruits et légumes qui entreraient dans le pays.

Suite à cette campagne, le boycott du sport sud-africain s’est établi. Au début, on a organisé des manifestations accompagnées d’affiches devant les lieux de sport où jouaient les visiteurs sud-africains exclusivement blancs. Tandis que les cibles principales étaient les tournées de l’équipe de rugby Springbok et des joueurs de cricket, on a ajouté d’autres disciplines sportives.

En 1968, un jeune membre du Parti Libéral britannique, Peter Hain, dont les parents étaient des exilés sud-africains, a pris contact avec l’AAM, et suggéré que les matchs sportifs fussent perturbés. On a refusé son idée, car on a pensé qu’une telle action directe aliénerait l’attitude du public britannique vis-à-vis du « fair play ». Peter Hain et son groupe d’une douzaine de jeunes libéraux ont pensé autrement et quelques mois plus tard, se sont assis sur un court de tennis à Bristol, où l’Angleterre jouait contre l’Afrique du Sud dans un match de Coupe Davis. Ils ont interrompu le jeu pendant une heure avant de se faire expulser. Mais l’idée s’est répandue et s’est propagée comme un feu de brousse. Les tournées d’équipes de rugby et de cricket en Grande-Bretagne qui ont suivi, ont essuyé des manifestations de masse au cours de tels événements sportifs et ont provoqué l’annulation de certaines tournées. Ça s’est étendu en particulier jusqu’en Australie et en Nouvelle-Zélande. En 1980, la tournée des Springboks en Nouvelle-Zélande, a été massivement perturbée et il s’est produit, dans un premier temps, une énorme division entre les amoureux du sport et les militants AAM.

À l’occasion d’une tournée précédente, dans les années 60, les visiteurs Springboks avaient été accueillis comme des idoles mais en 1980, ils étaient devenus léprosés. On a annulé d’autres tournées. Les équipes sud-africaines composées exclusivement de blancs ont été exclues des Jeux Olympiques. Le boycott des sports a porté d’énormes coups psychologiques contre l’état-Apartheid. Bien que ça ait été au début une réaction colérique, la résistance de la population blanche s’est atténuée au cours des années, et en 1990, elle a reconnu l’absurdité de son comportement. Il va sans dire que de telles actions protestataires ont inspiré le peuple opprimé d’Afrique du Sud.

L’appel au boycott s’est étendu pour inclure l’appel au désinvestissement et aux sanctions contre l’Afrique du Sud. Les universités, les églises et les syndicats étaient très en évidence en ce qui concernait le désinvestissement en matière d’économies et d’alimentation des fonds de pension, à partir des années 70 ; et la fermeture de comptes à la banque Barclays en Angleterre. Un grand industriel sud-africain, qui avait été à l’école avec moi, m’a dit combien il avait été choqué lorsque sa fille, étudiante à l’université d’Oxford, avait changé de compte en banque, avec d’autres – ce qui l’avait fait réfléchir. La compagnie américaine Kodak a coupé ses liens d’affaires avec l’Afrique du Sud au milieu des années 80, sous la pression de ses employés noirs, et la banque Chase Manhattan a fait de même sous la pression du lobby Africain-Américain : processus cumulatif. Le Congrès des USA a voté la Loi Anti-Apartheid (Triple A) contre la politique de Reagan et on a arrêté le commerce et les investissements en Afrique du Sud. Les Nations-Unis avaient adopté une résolution concernant les sanctions et l’embargo sur les armes vers 1977, et entre autres, ceci a conduit la France, deuxième fournisseur d’armes de l’Afrique du Sud après la Grande-Bretagne, à couper ses liens. La France avait fourni au régime d’Apartheid des sous-marins type Daphné et des avions de combat Mirage à réaction. L’embargo sur les armes a sérieusement ébranlé l’aptitude au combat du régime et contribué à son incapacité à faire face à l’offensive angolaise et cubaine de 1987-88, qui a conduit à l’expulsion hors d’Angola des forces armées racistes, ensuite à l’indépendance de la Namibie et à la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud.

La campagne BDS a duré trente ans. Elle a commencé lentement, a eu des hauts et des bas, a été inspirée par les luttes au sein de l’Afrique du Sud, et cette solidarité a également inspiré le mouvement de résistance. Elle a été considérée comme une rue à double sens.

L’ANC a traversé des heures sombres lorsque les gens, y compris les militants, auraient pu penser qu’ils avaient perdu la bataille. Pouvez-vous parler de cette époque ?

Eh bien, je compare tout ça au combat contre les Nazis ; contre le fascisme en Europe des années 30 ; aux luttes héroïques visant à la libération contre le joug colonial partout dans le monde. De tels combats sont passés par diverses phases et ont inclus des revers et des pertes importants. Cependant, puisque c’étaient de nobles combats pour la libération et l’indépendance contre la puissance ou la tyrannie étrangère, ils devaient réussir un jour ou l’autre, ce qui demandait évidemment un courage et un sacrifice extrêmes.

Après trois siècles de conquête coloniale et de vol de terres, l’ANC s’est établi en 1912 comme mouvement national pour unir les indigènes et retrouver leurs droits. Il est passé par une phase de mobilisation pacifique de masse dans les années 50, rassemblant de son côté les groupes minoritaires et des blancs, mais il a été interdit en 1960 du fait de ses succès, ce qui a fermé la porte à un changement pacifique. Quand il a essayé pour la première fois, de réagir par la force armée, au début par une campagne de sabotage (1961-63), il a subi de brutales répressions, des exécutions et des séjours en prison pour les chefs comme Nelson Mandela. La période qui a suivi, 1964-1976, a été les années les plus sombres, où le régime d’Apartheid s’est vanté d’avoir démoli les mouvements de libération. Les masses populaires étaient pour la plupart intimidées ; la résistance organisée à l’intérieur du pays avait bien été démolie ; les restes du mouvement se trouvaient en exil. Beaucoup ont baissé les bras et ont pensé que tout était perdu. La plupart des commentateurs en Afrique du Sud et à l’étranger avaient la même opinion. Mais les meilleurs n’abandonnent jamais – disent qu’il ne faut jamais désespérer. Nous avions vraiment conscience des contradictions irréconciliables au sein même du système d’Apartheid et croyions en la détermination irrépressible du peuple.

À partir des années 70, nous avons été les témoins de l’éveil d’une « conscience noire », d’une fierté parmi les étudiants noirs. Le plus remarquable, ça a été les grèves de la classe ouvrière de 1973, qui ont ébranlé le système. En 1974, le colonialisme portugais a pris fin, à la suite des guerres de libération en Afrique. En 1976, une révolte des lycéens noirs, à l’échelle nationale, s’est étendue à travers toute l’Afrique du Sud. Des centaines d’entre eux ont été abattus. Plusieurs milliers se sont enfuis du pays pour se joindre à nos rangs de combattants. La leçon c’est de ne jamais abandonner, quel que soit l’aspect sombre de la situation ; de comprendre que les forces planétaires et les contradictions sont toujours présentes. C’est pourquoi la solidarité internationale est importante. On a vu ce qui s’est passé pour l’issue de la Seconde Guerre Mondiale ; et pour la fin du honteux système colonial.

Vous allez bientôt présenter votre livre « L’improbable Espionne », au sujet de la biographie et du combat de votre épouse, à la Librairie Résistances, à Paris et nous sommes impatients à la pensée de cet événement. Quel message voudriez-vous envoyer à tous ceux qui ne pourront pas être présents ?

Je voudrais dire qu’il est principalement question du désir de justice, d’égalité et de dignité, émis de l’indéfectible esprit humain, et de la nécessité du courage. Il est question de la bravoure d’une jeune femme issue d’un milieu assez privilégié de classe moyenne, qui ne pouvait pas tolérer le racisme et l’oppression de la société dans laquelle elle vivait. Les conditions de temps et de lieu sont différentes. Au temps où elle vivait, il fallait un extrême courage pour se déclarer, parler haut et agir. Son engagement a montré que les gens ordinaires sont capables de faire des choses extraordinaires. C’est un message universel et je crois que sa vie est une inspiration pour nous tous – jeunes et vieux, hommes et femmes, pour les gens du monde entier.

Ronnie Kasrils (Traduit par Chantal C. pour CAPJPO-EuroPalestine))

CAPJPO-EuroPalestine

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[bleu]TEXTE ORIGINAL EN ANGLAIS :

– What do you answer to people who would say that you are are a terrorist and that you should still be in jail ?

Well if so then the Apartheid Regime was correct to label Nelson Mandela a terrorist and keep him imprisoned for twenty-seven years. The Nazi Regime and Vichy collaborationists, it could then be claimed with such warped reasoning, were entitled to torture and execute members of the French Resistance and anyone who supported them. Those who fight a just war against tyranny such as occurred in South Africa, Nazi-occupied Europe, anti-colonial wars such as in Angola, Mozambique, Vietnam, Algeria had a moral duty and a right to struggle for freedom using appropriate means. When there is no possibility of peaceful change then violent change is recognised as legally acceptable. Former US President, John Kennedy, stated: “Those who make peaceful change impossible make violent change inevitable.” International law recognises a people’s rights to take up arms in such circumstances. Freedom fighters, however, should seek to abide by the Geneva Convention. The African National Congress (ANC) signed those Accords and we rejected the use of terroristic methods which we defined as attacks on the civilian population.

[bleu]Nowadays non violence (except for the states) is said to be the only option. What should one do when confronted with daily state terrorism ? (Attacks against workers on strilke, peaceful demonstrators, and bombing civil populations to teach them democracy…) [/bleu]

[bleu]One must examine the particular context. Are we talking about a democratic state where the rule of law applies? As long as it is possible to achieve change through elections the ballot is preferable to the bullet but this does not exclude the right of legitimate civil protests of all kinds. Of course there are many democratic countries where unacceptable police brutality occurs and protestors or strikers feel provoked. Where applicable one must use recourse to the legal system and expose such brutality. It is best to maintain discipline and protest actively but peacefully. The larger the protest or strike the more powerful is the demand. The authorities or employers are more likely to back down when the unity of the protest or strike is maximised. Disciplined peaceful protests have the likelihood of attracting the greatest numbers of people. These points need to be considered when organising strikes and protests. Are you referring for example to Syria, Yemen, Iraq? If so that is a war situation and my answer to your first question applies. However, let us be quite clear, no genuine revolutionary should subscribe to terrorism against the civilian population. It is vital to maintain the moral high ground and not degenerate into the terrorism of a state that bombs and mutilates the civilian population. There are numerous examples of such state terrorism and Israel is a clear-cut example in its brutal occupation, its bombardment of Gaza, of Lebanon in 2006 and so on.

– Can you give some examples of your struggle in clandestiny during 30 years ?

We learnt a great deal from international experience. We read books about clandestine struggles from resistance against fascism all over the world. But of course we learnt best from our own conditions and experience. We started by painting slogans on walls.

We set up clandestine printing presses and broadcasting systems. Modern day communications like social networking is an unimaginable advance on those old methods but they can easily be blocked by the state. Imagine under a censorial dictatorship the inspirational impact of a slogan on a wall; a banner draped from a building; leaflets being showered into the streets. We repeatedly organised such publicity during the worst days of apartheid that said the people would triumph.

When we read that activists in Greece, following the colonels coup in 1967 (check date?), hired a hotel room facing the Athens’s main square and rigged up a broadcast system to denounce the plotters (obviously after departing); it set us thinking. Using the first small tape recorders that appeared on the market we modified these with miniature but powerful amplifiers; loaded them with tape recorded messages; and planted them in strategic public places to transmit messages from the underground at synchronised days and times throughout the country.
We developed a strategy termed Four Pillars of struggle: mass political struggle; reinforced by armed actions; clandestine organisation; and international solidarity.

That third pillar entailed the building of an underground network which gave political leadership to the masses; assisted the resistance fighters; spread the Movement’s message of resistance; and linked with the outside world. The objective was to co-ordinate the tasks of the four pillars – namely arouse and lead the people and isolate the apartheid regime.

Those thirty years when we were outlawed (1960-90) coincided with my involvement as a 21-year-old through initial public demonstrations; as a member of the armed wing from 1961; involvement in sabotage activities followed by 27 years in exile which included international mobilisation for the anti-apartheid movement; recruitment of what in French is termed ‘portieurs de vallaise’ (couriers taking funds and documents from abroad to the resistance- please check my French?); teaching politics in our guerrilla camps in Angola and Mozambique; attaining the post of Chief of Military Intelligence in our armed wing; frequently donning various disguises to carry out missions within South Africa.

– There is clearly an atmosphere very much like the rise of fascism on the 30’s with institutional racism, less and less rights for the population, human rights and international law not implemented in so called democratic countries, and Israel being given as the example for « security methods ». How should we cope with this, according to you ?

There is a vital need to take up issues of human rights and international law in the courts where possible. We should never give up in that arena. It means mobilising the resources of progressive legal minds; and linking up internationally. This must interact with national and international mobilisation of popular forces. Legal and public struggles should proceed side-by-side. It means steadfastly defending the rights that have been won over decades and even centuries in the so-called Western democracies. It requires insisting on those rights in recently emerged countries, such as in Eastern Europe. We note the right-wing governments that have come to power, being embraced by the EU and NATO including states such as Turkey and Israel. The Zionist state is not a country that should be presented as a model for democracy and security. It was the colonialism of West European powers, with the USA as late comer, which was responsible for the plunder of two-thirds of the world and brutal wars waged against indigenous peoples. This created incalculable suffering for the colonised and a climate of race hate in the metropolitan countries which is unfortunately still ingrained in sections of the population to this day. It is those ignorant souls who’s fears the right wing fanatics play on, as was the case in Nazi Germany, that become captives of the demagogue. Israel is a late product of that colonial era and follows the same path under Netanyahu and his predecessors. Its racist practices and security enforcement stems from the failed policies of the former colonial powers which Israel adheres to and seeks to perfect. The lessons of history point to the need to build unity among all social strata, counter anti-democratic tendencies, outlaw fascism, spread humanism, tolerance and internationalism, for peace and security to prevail.

– The boycott of Israel is called antisemitism by our politcians and media under the influence of the Israeli lobby in many European countries. How useful was the boycott of South African products during the Apartheid regime in your country ?

The ploy of calling anyone or any action against Israel as anti-semitic is fallacious – a failure in reasoning and illustrates a bankrupt mind.
To be anti-Israel, that is its policies and practices, does not equate with being anti-semitic or anti the Judaic religion. Opposing Israel or Zionism does not equate with opposing Jews. Israel is a state founded by the Zionist ideology. Zionism is a political doctrine. A majority of Jews, even rabbis, opposed Zionism at its inception. There have always been heated debates within Jewry concerning Zionism. More and more Jews around the world, and a courageous minority within Israel, strongly oppose Israel’s policies. Zionists attack such people as “self-hating Jews” because they defy the mythology which claims that all Jews should naturally be supporters of Israel.

To be critical of Israel does not imply anti-semitism, just as being critical of a state practising Christianity does not equate with being anti-Christian. We are in good moral and legal company including the likes of Archbishop Desmond Tutu, Professor Stephen Hawking, Professor John Dugard, Professor Angela Davis.

The minority of white people in South Africa who opposed the system and sided with the black people’s struggle were also attacked as traitors.

In fact that liberation struggle has liberated all people irrespective of background and a struggle against Zionism within Israel, providing equality for all its people, would liberate Jew and Arab. Changing the system on Jewish entitlement and exclusivity, which is the basis of Zionism, would not mean removing all Jews from historic Palestine. Just as changing the system of government in South Africa did not mean the end of the white population.

The weapon of boycott against apartheid South Africa was a fundamental pillar of the liberation struggle. The boycott movement began around 1959 when Julius Nyerere among others addressed a gathering in London calling on Britain, as South Africa’s main trading power, to observe the call from the ANC and Africa generally, to cut trade with the apartheid state. This call was to snowball over the years, and enlarge to include disinvestment and sanctions. The BDS campaign against apartheid South Africa came to embrace countries and peoples throughout the globe, was championed by the United Nations (UN) and was a major instrument in isolating the regime and inspiring the struggling people of the country.

– How did you choose your targets ? And long did it take for this boycott to be implemented in the rest of the world ?

This is such a vast subject that I will highlight a few areas for illustrative purposes. With the launch of the boycott call in 1959/60 it was decided to focus on two iconic fruit products which were the flagship of overseas South African trade – namely the very popular Outspan Orange and Cape grapes. These two products could be found in British and European shops. Stunning posters were produced by the Anti-Apartheid Movement (AAM) and accompanying leaflets which were distributed outside key stores. Conscience raising education was focussed on trade unions, church communities, housewives and schools. This was organised strategically with intention of rolling out an all embracing boycott of all SA products and lists of these were produced. Apart from Britain, the Scandanavian countries and Netherlands became highpoints of such activity, which gradually spread throughout Western Europe which was the main market for SA produce. By 1988 the Dunnes Store boycott in Dublin, Ireland was so successful that it led to the government adopting a trade union resolution to ban all South African fruit and vegetables entering the country.

On the heels of this campaign the boycott of South African sports proceeded. At first poster demonstrations were mounted outside sports arenas where visiting whites-only South African teams were playing. While the main targets were the Springbok rugby and cricket tours other sporting disciplines were inclued. By 1968 a young member of the British Liberal Party, Peter Hain, whose family were South African exiles, approached the AAM with the suggestion that sports matches should be disrupted. His idea was turned down because it was thought that such direct action would alienate the British public’s attitude of “fair play”. Peter Hain and his group of less than a dozen young liberals thought otherwise and within months sat down on a tennis court in Bristol, where England were playing South Africa in a Davis Cup tennis match. They held up play for an hour before being evicted. But the idea caught on and spread like wild fire. Subsequent tours to Britain by rugby and cricket teams saw massive demonstrations at such sporting events causing tours to be cancelled. This spread to Australia and New Zealnd in particular. The 1980 Springbok tour of New Zealand saw massive disruption and a huge divide between sports lovers and the AAM activists. A previous tour in the 1960s had seen the visiting Springboks treated like idols. By 1980 they were treated like lepers. Further tours were called off. South African all-white teams were banned from the Olympics. The sports boycott struck massive psychological blows at the Apartheid state and white population and although they responded angrily at first their resistance was worn down over the years and by 1990 they had come to see the folly of their ways. Needless to say such protest action inspired the oppressed people of South Africa.

The boycott call was developed to include the call for disinvestment and sanctions against South Africa.

Universities, churches and trade unions were to the fore regarding disinvesting savings and investments of pension funds from the 1970s; and in cancelling bank accounts with Barclays Bank in Britain. A leading South African industrialist, who had been to school with me, told me how shocked he was when his daughter, studying at an Oxford university, changed her bank account along with others, and how this got him thinking. By 1989 Barclays had pulled out of South Africa. A cabinet minister of the regime has recounted how this was the last staw in convincing him to realise things had to change. The USA Kodak company withdrew business links with South Africa in the mid-1980s under pressure from its black employees an Chase Manhattan did the same thing under pressure from the African-American lobby. This was all a cumulative process. The US Congress had passed the Anti-Apartheid Act (triple A) against Reagan’s policy and trade and investment with SA was cut. The UN had adopted a sanctions resolution and arms-embargo around 1977 and among other things this led to France, South Africa’s leading arms supplier after Britain, cutting those links. France had supplied the apartheid regime with Daphne class submarines and Mirage fighter jets. The arms sanctions seriously undermined the regime’s fighting ability and contributed to its inability to deal with the Angolan and Cuban offensive in 1987-88 which led to the ejection of the racist armed forces from Angola and subsequent independence for Namibia and an end to apartheid in South Africa.

The BDS campaign lasted three decades. It started slowly, had its ebbs and flows, was inspired by the struggles within Southern Africa, and that solidarity inspired the resistance movements as well. It was seen as a two-way street.

– The ANC had some very dark hours when people, including activists, could think they had lost the battle. Can you speak about this period ?

Well I liken this to the struggle against the Nazis; against fascism in Europe of the 1930s to 1940s; to the heroic liberation struggles against colonial rule throughout the world. Such struggles moved through various phases and included huge setbacks and losses. However, owing to the fact that these were noble struggles for freedom and independence against foreign rule or tyranny they were bound to succeed sooner or later, of course involving incredible courage and sacrifice. After three centuries of colonial conquest and dispossession of land, the ANC was established in 1912 as a national movement to unite the indigenous people and regain lost rights. It went through a high phase in the 1950s of peaceful mass mobilisation, drawing minority groups and some whites to its side, but as it began to flex its muscles it was banned in 1960 closing all avenues for peaceful change. Its initial attempts to respond through force of arms, initially through a sabotage campaign (1961-63) was met with brutal reprisals, executions and terms of life imprisonment for leaders such as Mandela.

The period that followed, 1964-1976, was the darkest of times when the Apartheid regime boasted they had smashed the liberation movements. The masses were largely intimidated; the organised underground within the country had been effectively smashed; remnants of the movement were in exile. Many gave up the ghost and thought all was lost. Most commentators in South Africa and abroad were of similar opinion. But the best never give up – never say die. We were acutely aware of the irreconcilable contradictions within the apartheid system and believed in the irrepressible determination of the people. We had international solidarity on our side and that is a great incentive.

By 1970 we witnessed the stirring of a “black-consciousness” or pride among black students. Most significant were the 1973 working class strikes which shook the system. By 1974 Portuguese Colonialism came to an end resulting from the liberation wars in Africa. By 1976 a nationwide revolt of black school students spread throughout South Africa. Hundreds were shot down. Several thousand fled the country to join our fighting ranks. The lesson is never to give up no matter how bleak the situation may appear; and to understand that global forces and contradictions are always at work. That is why international solidarity is so significant. We saw this process with the outcome of the Second World War; and the demise of the shameful colonial system.

– You will soon be presenting your book « l’improbable Espionne » about your wife’s biography and struggle at Librairie Résistances in Paris and we are very excited about this event. What message would you like to send to all the people that won’t be able to attend ?

I would say it is essentially about the inextinguishable human spirit’s desire for justice, equality and dignity and the necessity of courage.
It is about the bravery of a young woman from a relatively privileged middle class background who could not abide the racism and oppression of a society in which she lived. Conditions of time and place differ. In the time she lived inordinate courage was required to stand up, speak out and take action. Her involvement demonstrated that ordinary people are capable of extraordinary things. It is a universal message and my belief is that her life is an inspiration to all – young and old, male and female, people from all over the world. [/bleu]

Ronnie Kasrils (translated by Chantal C. for CAPJPO-EuroPalestine)[/bleu]