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Un mouvement de protestation palestinien dirigé par des jeunes secoue les collines au sud de Jérusalem

Un reportage de Jonathan Shamir dans Haaretz :

« Sami Huraini, étudiant en droit palestinien, se trouve tous les vendredis au poste de police de la colonie de Kiryat Arba à Hébron. Les conditions de libération sous caution du militant de 23 ans stipulent qu’il doit comparaître ici chaque semaine, dans la colonie israélienne attenant à Hébron, de 8h30 à 15h30..
Normalement, ce jour-là, Huraini assiste à la manifestation hebdomadaire après la prière près de son village d’At-Tuwani, en Cisjordanie, pour protester contre l’occupation et les démolitions de maisons par les autorités militaires israéliennes dans cette région désertique des collines d’Hébron Sud. 

« Ils veulent que j’aie peur de me joindre à toute manifestation, et ils veulent m’utiliser comme un exemple pour effrayer d’autres militants », dit Huraini de ses conditions de mise en liberté sous caution, qui se n’aura pas lieu avant sa prochaine audience le 1er Mars. 
S’il on découvre qu’il a participé à une manifestation, il perdra sa caution de 10 000 shekels (environ 3 000 $), soit l’équivalent de deux mois et demi de salaire de son père. « Même si je marche sur la route et qu’il y a une protestation, ils pourraient m’arrêter », dit Huraini. Si un tribunal militaire israélien a des raisons de croire qu’il a aidé à organiser une manifestation, il devra également remettre 30 000 shekels de plus (que son père et d’autres militants ont mis en gage).

« Ce n’est pas facile », a déclaré Huraini à Haaretz dans un entretien téléphonique. « Je ne veux pas m’arrêter. » En tant que coordinateur de Youth of Sumud (Jeunes de la Résistance), un collectif de 30 jeunes militants d’At-Tuwani et des villages voisins, Huraini est l’une des figures centrales des tentatives locales de contrer l’influence sans cesse croissante de l’occupation israélienne, et d’inciter les habitants à rester sur leurs terres.

Huraini fait face à des accusations de trouble à l’ordre public, d’agression contre un soldat israélien et de violation d’un ordre de zone militaire fermée lors d’une manifestation non autorisée le 8 janvier, près du village voisin d’Al-Rakeez. Selon un rapport de l’Association pour les droits civiques en Israël, la plus ancienne organisation de défense des droits de l’homme du pays, l’imposition de zones militaires fermées est largement utilisée comme « outil de répression des manifestations en Cisjordanie ». Huraini considère également la justification comme une « excuse ».

Un mouvement de protestation palestinien dirigé par des jeunes secoue les collines au sud de Jérusalem
Manif près de al-Rakiz, le 8 janvier 2021.Credit: Ori Givati

Le 8 janvier dernier, 200 militants palestiniens, israéliens et internationaux protestaient contre les tirs de l’armée israélienne contre Haroun Abu Aram, 24 ans, la semaine précédente. 

Et l’accusation n’a pas fourni la preuve que Huraini a commis les actes de violence pour lesquels il a été inculpé. Les soldats israéliens peuvent clairement être vus portant des caméras corporelles lors de la manifestation du 8 janvier, mais aucune séquence n’a été rendue disponible, comme c’est souvent le cas. Interrogée spécifiquement à ce sujet par Haaretz, l’armée israélienne a choisi de ne pas répondre.
Selon plusieurs témoins oculaires, ainsi que des images de la manifestation, la manifestation a été extrêmement pacifique. « Nous avons protesté pacifiquement avec des militants internationaux et israéliens : scandant, tambourinant et agitant des drapeaux », a déclaré Adra.
Cinq Israéliens qui ont assisté à la manifestation ont même fait un témoignage écrit pour l’audience de Sami Huraini. Ils ont également témoigné qu’aucun ordre de fermeture militaire n’avait été présenté aux manifestants.

L’avocate de Huraini, Gaby Lasky, a déclaré que le fait que l’armée avait détenu son client, et un acte d’accusation « a été déposé contre lui pour avoir attaqué des soldats malgré les nombreux témoignages d’Israéliens qui étaient avec lui sur les lieux, indique la tentative des forces de l’ordre dans les territoires non seulement de faire taire les protestations et les critiques contre la fusillade illégale [de Harun Abu Aram] , mais aussi gravement endommager le tissu de la vie des villageois.

Quinze soldats israéliens sont venus chez Huraini la même nuit, en lui demandant : « Vous avez un couteau ? ». « Vous me sortez du lit et vous me demandez si j’ai un couteau? » Les yeux bandés et menottés, il a été conduit d’une base militaire à l’autre jusqu’à 4 heures du matin, heure à laquelle il a été conduit au poste de police de Kiryat Arba pour y être interrogé.

À 9 heures, il a été escorté à la prison de Gush Etzion, où il est resté six jours pendant que sa date de procès continuait d’être repoussée, raconte-t-il. Malgré son âge, c’est loin d’être la première fois que Huraini s’e retrouve aux mains des autorités israéliennes. Tout comme son père Hafez et sa grand-mère Fatima avant lui, il sait qu’il peut s’attendre à ce qu’un tel traitement se poursuive aussi longtemps qu’il continue à protester. 

Élevé dans un milieu militant

À peine plus de 300 personnes vivent à At-Tuwani, un petit groupe de maisons en béton étreignant une colline rocheuse au sud d’Hébron, avec une école, une clinique et une mosquée. Les Hurainis s’y sont installés en 1948 près de la ville d’Arad, à une vingtaine de kilomètres au sud à vol d’oiseau et de l’autre côté de la ligne d’armistice qui marque les frontières d’avant juin 67. Fuyant les combats, ils ont acheté des terres à des habitants de la ville voisine de Yatta et ont continué comme ils l’avaient toujours fait : l’élevage de moutons.

La colonie de Ma’on en Cisjordanie, à côté du village palestinien d’At-Tuwani.La colonie de Ma’on en Cisjordanie, à côté du village palestinien d’At-Tuwani.Crédit: Nicolas Rouger

Mais tout a changé en 1981. L’armée israélienne a construit « l’avant-poste » de Ma’on, à un jet de pierre d’At-Tuwani, pour un groupe de Nahal, une unité de l’armée israélienne qui a combiné le service militaire avec l’agriculture, et il est devenu une colonie un an plus tard. En 2001, des colons radicaux ont construit une extension connue sous le nom de Havat Ma’on, plus près encore d’At-Tuwani.
Au cours des 30 dernières années, At-Tuwani n’a guère été autorisé à s’agrandir, tandis que la colonie, qui ne manque de rien, regroupe désormaisprès de 600 habitants. Un nouveau quartier vient d’y être construit, surplombant les vergers de cerisiers descendant doucement dans la petite vallée entre les deux collines. « C’était la terre de ma famille », dit Sami Huraini.

Fatima Huraini, la grand-mère de Sami, a plus de 80 ans. Même aux tout débuts de la colonie, la violence était présente. Elle était souvent agressée par des colons alors qu’elle faisait paître ses moutons. Elle a également été battue par l’armée et en a perdu son audition, raconte Sameeha Huraini, la sœur cadette de Sami. Pourtant, elle est restée sur sa terre, illustrant de ce que les Palestiniens appellent sumud (« résilience » en arabe) – un concept central dans l’histoire locale de l’activisme.

Fatima et Hafez Huraini sur leurs terres dans le village d’At-Tuwani en Cisjordanie. Crédit: Sami Huraini

Son fils Hafez, aujourd’hui dans la cinquantaine, est également devenu un éminent militant de la résistance populaire en Cisjordanie, et en particulier dans les collines d’Hébron Sud. Il a également fait face à des descentes nocturnes et à des arrestations, raconte Sameeha.
« J’ai grandi dans ce contexte, j’ai été élevé avec ces principes », dit Sami Huraini. « Cela m’a appris à avoir la foi et à m’engager dans la non-violence comme moyen efficace et influent de parvenir à la paix et à la justice. »

En 2017, les enfants Huraini et certains de leurs amis ont créé « Les Jeunes du Sumud. Ils pratiquent « la résistance populaire pacifique comme choix stratégique pour mettre fin à l’occupation israélienne », explique Sami, bien que leur objectif immédiat soit plus prosaïque : « L’armée israélienne utilise la violence comme excuse pour démolir des maisons. Nous pratiquons une action directe afin de détruire le plan de nous enlever la terre », dit-il. Le petit mouvement militant a été formé au camp de la liberté de Sumud, au cours duquel des activistes palestiniens, israéliens et internationaux ont occupé des grottes dans le village voisin de Sarura dans le but de ramener les occupants d’origine qui avaient été chassés, par des attaques régulières de colons. 

Selon le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem, les collines d’Hébron Sud présentent un intérêt stratégique pour Israël parce qu’elles sont peu peuplées et qu’il y a une contiguïté territoriale avec le Néguev au sud. Haaretz a tenté d’interviewer le Conseil régional de Har Hébron, sous la juridiction duquel se trouve Ma’on, mais il a refusé de répondre aux questions.  
Les communautés palestiniennes sont de plus en plus isolées, d’autant qu’elles voient leur développement freiné par le manque d’infrastructures essentielles, la difficulté à obtenir des permis de construire malgré l’espace environnant, ainsi qu’un harcèlement constant de la part des colons israéliens et de l’armée.


Les grottes sont toujours une préoccupation majeure, mais Youth of Sumud s’engage maintenant également dans d’autres activités – y compris la documentation de la violence des colons et des démolitions de l’armée, la présence protectrice sur chemins de l’école, et pendant la saison des récoltes, et l’organisation d’ateliers et de conférences sur la théorie et la pratique non violentes.

En 2020, les Jeunes de Sumud ont planté des oliviers juste à côté d’une forêt plantée par le Fonds national juif (KKL) entre la colonie de Ma’on et le vilalge d’At-Tuwani. L’objectif, a expliqué Huraini, était d’essayer d’endiguer physiquement l’empiètement de la colonie, tout en donnant aux jeunes un sentiment renouvelé d’appartenance à la terre. Quelques semaines plus tard, alors que les jeunes arbres sortaient du sol, ils furent déracinés, et non pour la première fois, par les colons.
Mais Sami souligne que ses propres racines dans cette terre restent plus fermes que jamais. « Nous voulons une vie normale dans notre village, vivre dans la dignité. Nous voulons simplement vivre en sécurité il fait pour cela que le système d’apartheid tombe. » Ce vendredi, alors qu’il se rend à nouveau au poste de police de la colonie de Kiryat Arba, ses jeunes militants seront de nouveau à At-Tuwani, poursuivant leur lutte.

Une lutte qui est loin d’être vaine, estime Michael Carpenter, chercheur à l’Université de Victoria au Canada, qui se spécialise dans la résistance civile. « Les résidents d’At-Tuwani peuvent se vanter de plusieurs petites victoires. Par exemple, c’est l’un des rares villages palestiniens où Israel a été contraint de mettre en place un « plan directeur » qui permet aux habitants de construire sur leurs terres ; ils ont réussi à se brancher à l’approvisionnement en eau, ce qui est également inhabituel ; et en 2006, après que l’État d’Israël a construit un mur d’un mètre de haut le long de la route 317, coupant les collines d’Hébron Sud d’autres parties de la Cisjordanie, les villages locaux se sont rassemblés et ont commencé à manifester sur une base hebdomadaire pendant deux ans – jusqu’à ce que la barrière soit finalement enlevée. »

Il souligne également les circonstances uniques de la protestation dans la zone C, la partie de la Cisjordanie sous le contrôle total d’Israël : Là où se trouve l’Autorité palestinienne, la résistance populaire ne l’est pas, dit Carpenter. La police palestinienne, mais aussi l’infrastructure palestinienne, agissant comme des freins.

(Traduit par CAPJPO-EuroPalestine)

Source :https://www.haaretz.com/israel-news/.premium.MAGAZINE-a-youth-led-palestinian-protest-movement-is-rocking-the-hills-south-of-jerusalem-1.9559356?utm_source=mailchimp&utm_medium=content&utm_campaign=daily-brief&utm_content=ed188d0cc3

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