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Conseil d’Etat et interdiction des manifestations pour la Palestine : La réplique des avocats au ministère de l’intérieur

Nous vous révélons ci-dessous l’énumération « à la Prévert » des justifications plus indigentes les unes que les autres présentées samedi en conseil d’Etat par les deux représentants du ministère de l’intérieur, pour tenter de motiver l’interdiction des manifestations parisiennes de samedi en soutien aux Palestiniens, dont le rassemblement à la Fontaine des Innocents déclaré par CAPJPO-EuroPalestine de midi à 14 H 30.

Et voici comment nos avocats, Me Dominique Cochain, Me Sefen Guez Guez et Me Elhamamouchi ont réfuté point par point ces énormités.

DÉLAIS !! Alors que depuis plus de 24 H, M Darmanin se vantait sur tweeter de faire interdire les manifestations pour la Palestine, nous ne recevions l’arrêté d’interdiction que le vendredi 14 mai 2021 à 14 H 25. Notre recours devant le Tribunal Administratif était déposé avec une extrême célérité, mais tout était fait pour nous empêcher de plaider dans les délais.

Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du mémoire du ministère de l’intérieur envoyé seulement le samedi matin, ne nous laissant guère de chance au Conseil d’Etat de statuer dans les temps (c’est-à-dire avant l’heure du rassemblement). Ce qui n’a pas empêché le magistrat qui siégeait de dire sa manière de penser au ministère de l’intérieur.

Le magistrat du Conseil d’Etat a souhaité reprendre les arguments développés, un par un.

  • Il a relevé le fait que le constat sur l’existence d’évènements tragiques au Proche-Orient faisait l’unanimité, mais il a soulevé la question de savoir si la gravité de cette situation constituait un argument à même d’interdire une manifestation, notamment par référence aux manifestations de 2014 auxquelles il est fait référence dans le mémoire

Réponses des avocats : Selon le Ministère de l’Intérieur il ne faudrait donc manifester que lorsque la situation est calme et que tout va bien ? Alors que c’est justement parce qu’il y a des événements tragiques que nous voulons manifester.

Me  Elhamamouchi rappelle qu’il y a eu, par le passé des violences à l’occasion de nombreuses manifestations et notamment avec des décès – un magrébin jeté à la Seine par des manifestants du FN – (mais aussi 1er mai, retraites, LGBT, écolo, etc) mais le gouvernement n’a pas interdit pour autant les manifestations sur ces thèmes par la suite.

Il n’est pas concevable de se référer sans limitation dans le temps, à des faits de 2014, pour interdire des manifestations de soutien au peuple palestinien.

Me Cochain relève que le mémoire de la Préfecture vise des risques d’affrontements avec des contre-manifestants. Car en réalité tel était bien ce qui s’était passé en 2014, suite à un appel des provocateurs de la LDJ (Ligue d’Extrême droite), ce à quoi elle répond en invoquant la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui avait condamné un état ayant interdit une manifestation sur le même motif car il appartient à l’Etat de protéger la liberté d’expression des manifestants (droit fondamental) vis-à-vis des éventuels contre-manifestants.

Me Guez Guez ajoute que non seulement on peut voir que le dispositif policier déployé est gigantesque et qu’il aurait permis d’encadrer la manifestation, mais que Darmanin lui-même s’est répandu en déclarations dans les médias pour affirmer qu’il disposait de suffisamment de policiers et de CRS pour assurer la sécurité des citoyens ,que la manifestation soit interdite ou pas, et qu’en conséquence un rassemblement statique, sur une place facilement sécurisable, où des rassemblements similaires se tiennent depuis des années sans problème n’expose à aucun risque.

L’un des représentant du Ministère répond qu’il s’agit de « communication », vous ne voudriez pas que le Ministre de l’Intérieur dise qu’il ne dispose pas des moyens nécessaires pour faire régner l’ordre dans Paris….

  • Le ministère de l’intérieur ajoute que les incidents en 2014 sont intervenus lors d’une manifestation dont le point de départ avait également été le quartier de Barbès.

Me Cochain rappelle que la grosse manifestation du 27 juin 2020, quand Netanyahou a annoncé l’annexion d’une partie de la Cisjordanie, suscitant une forte émotion, était également partie de Barbès (jusqu’à Nation) et s’était déroulée sans le moindre incident. 

  • Ne tenant pas compte de ce que venaient d’être rappelées les obligations de l’Etat en terme de garantie de la liberté fondamentale de manifester et donc d’assurer la sécurité des manifestants si des contre-manifestants tentaient de créer des troubles, le représentant du ministère de l’intérieur revient sur la difficulté de la situation parce que les deux parties ne peuvent se mettre d’accord. « Sur les territoires disputés et pour certains occupés » (sic)

Me Cochain intervient pour faire remarquer qu’il n’est pas acceptable qu’un représentant du Ministère de l’Intérieur et donc de l’Etat, utilise en violation avec le droit international et de la position officielle de la France les termes « territoires disputés ». Elle relève que cela semble traduire la position officieuse de la France et expliquer le fondement véritable de l’interdiction.

Le représentant du Ministère explique qu’il ne faut pas considérer ces paroles comme exprimant la position du Ministère, mais comme visant à exprimer l’une des positions des parties au conflit.

  • Le ministère de l’intérieur fait valoir que la France n’est pas le seul pays démocrate à avoir interdit des manifestations, cela a été aussi le cas à Francfort et au Maroc.

En entendant le mot « Maroc », les avocats s’esclaffent : bel exemple de pays démocratique auquel la France se compare !

Me Elhamamouchi explique que lui-même d’origine marocaine ne considère pas le Maroc comme une démocratie et que cette interdiction de manifester résulte d’accords politiques suite à la reconnaissance par Israël de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Cela est sans le moindre lien avec l’objet de l’interdiction de manifester à Paris.

Et que Paris est donc bien la seule capitale au monde, d’un Etat démocratique à avoir interdit les manifestations en soutien aux Palestiniens.

  • Le fait que CAPJPO-EuroPalestine ait déclaré vouloir commémorer la Nakba à l’occasion de son rassemblement aux Innocents serait une circonstance aggravante, souligne le ministère de l’intérieur, car : « c’est le 73ème anniversaire de la déclaration d’indépendance de l’Etat d’israel, et ce jour marque le début de la guerre israélo-arabe de 1948-1949 qui a donné lieu à l’exode palestinien ».

Réponse : Arrêtons alors de commémorer tous les événements tragiques survenus dans le monde (génocide des juifs, des arméniens, traite de l’esclavage…)

  • Et le représentant du ministère d’ajouter : « La manifestation est programmée alors que d’importantes fêtes religieuses sont célébrées, notamment la fin du Ramadan et les fêtes de Chavouot pour nos concitoyens juifs » 

Les avocats lui font remarquer que le ramadan est fini depuis plusieurs jours et que les fêtes juives en question ne débutent que la semaine prochaine. Ils ne voient donc pas le rapport.

La représentante du Ministère explique que 26 manifestations étaient déclarées pour le 15 mai 2021 et qu’en conséquence 3 jours avant la date, le Ministère est obligé d’arbitrer et d’en annuler certaines, sans que cela ne vise spécifiquement les manifestations pour la Palestine. (sic)

Les avocats ont vivement contesté cet argument en soulevant les moyens suivants :

Si cet arbitrage se fait 3 jours avant (par référence au délai de 3 jours non respecté par certaines associations qui avaient réagi face à l’urgence de la situation) comment se fait-il que l’organisateur de la manifestation devant partir de Barbès ne se soit vu notifier l’interdiction de manifester que le matin du 14 mai 2021 alors que la loi exige que la notification intervienne immédiatement et qu’en l’espèce l’arrêté existait puisque tous les media en disposait…la notification se fait-elle via le compte tweeter du Ministre de l’intérieur ?

Pour les mêmes raisons pourquoi notifier l’arrêté à Madame ZEMOR, le 14 mai à 14 H25, si ce n’est dans l’espoir que le Conseil d’Etat ne soit contraint de dire « n’y avoir lieu à statuer » car l’heure de la manifestation sera dépassée lorsqu’il rendra sa décision,

Cette violation des règles de droit, caractérise non seulement la mauvaise foi du Ministère, mais aussi le peu de confiance qu’il a en ses propres motifs d’interdictions et la crainte qu’elles seront sanctionnées par le Conseil d’Etat s’il dispose du temps utile pour statuer.

  • Le ministère revient sur les risques de dérapages antisémites, tout en prenant soin de dire que cela ne concerne pas l’association CAPJPO EUROPALESTINE ou les organisateurs des autres manifestations, mais qu’il n’est jamais possible de contrôler les personnes extérieures qui pourraient venir se greffer sur le rassemblement.
    Et le ministère de l’intérieur a pris la peine d’ajouter dans son mémoire : « De plus, de nombreux groupes hétérogènes (autres associations pro-palestiniennes, influenceurs de la lutte anti-islamophobie, collectif politisés de la sphère éducative…) sont susceptibles de prendre par à cette manifestation qui est dès lors fortement susceptibles de connaître d’importants débordements. Certains de participants pouvant chercher à provoquer des affrontement violents avec les forces de l’ordre voire à engager des actions visant les intérêts israéliens dans la capitale ou nos compatriotes de confession juive »    

    Les avocats en colère exigent que cessent ces accusations mensongères d’antisémitisme.

Si on prend l’exemple de CAPJPO-Europalestine, qui engage ce recours, et à qui l’on refuse de manifester aujourd’hui à la Fontaine des Innocents, pas un seul débordement en 20 ans d’existence de cette association qui comprend des adhérents et sympathisants de toutes confessions ou athées, et dont le service d’ordre comme tous les membres, ont toujours veillé à ne laisser aucun provocateur venir tenir des propos antisémites.

Pour rappel, les seuls « Mort aux Juifs » entendus dans des manifestions sont le fait d’organisations d’extrême-droite, et non d’associations qui défendent les droits des Palestiniens.

Dernier point toujours aussi peu convaincant Le rassemblement pour la Palestine de midi aux Innocents a été interdit parce qu’un autre rassemblement devait se tenir au même endroit à 14 h samedi « selon le compte twitter de la déclarante » 

Il s’agit de la fameuse (fumeuse) question d’arbitrage à faire entre les différentes manifestations déclarées.

Réponse des avocats : Argument totalement fallacieux car Madame Olivia Zémor est la première à avoir fait une déclaration, et a reçu le 10 mai un récépissé tamponné par la préfecture, validant ce rassemblement. La direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) ne le lui aurait pas accordé s’il posait un problème de concomitance avec d’autres rassemblements.

Lorsque l’on représente la Préfecture on ne justifie pas la prétendue antériorité des manifestations autorisées au détriment de celle d’EUROPALESTINE en invoquant le compte twitter d’une déclarante, mais on produit les déclarations tamponnées.

Cela d’autant plus que la principale manifestation des Gilets Jaunes devait arriver sur site à 15 H alors que le rassemblement d’Europalestine devait quitter les lieux à 14 H 30, le prétendu risque de contamination par COVID du fait du brassage entre les deux groupe (argument de la préfecture) était donc nul.

Sur l’argument du Ministère selon lequel la Préfecture est toujours obligée d’arbitrer que qu’il y a toujours des déçus… Les avocats ont interrogé les représentants du Ministère sur les modalités d’un arbitrage aboutissant à l’interdiction de toutes les manifestations déclarées longtemps à l’avance, en lien avec la Palestine, et portant sur des faits d’une extrême gravité en faveur du maintien d’évènements pouvant être reportés sans dommage. Faut-il comprendre que pour le ministère de l’intérieur un rassemblement pour les bébés phoques par exemple est plus important que la protestation contre la mort des bébé gazaouis ?

Cette question est restée sans réponse et l’affaire a été mise en délibéré et comme planifié par le Ministère de l’Intérieur et la Préfecture, le Conseil d’Etat a dit n’y avoir lieu à statuer puisque l’heure du rassemblement était dépassée.

Nous relevons néanmoins que le Conseil d’Etat a interpelé les représentants du Ministère sur leurs motifs qui laissaient manifestement le magistrat perplexe.

Cette procédure nous a par ailleurs permis de dévoiler les procédés mis en œuvre pour museler tout soutien au peuple palestinien.

CI-DESSOUS LA COPIE INTÉGRALE DU MÉMOIRE DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR

Conseil d'Etat et interdiction des manifestations pour la Palestine : La réplique des avocats au ministère de l'intérieur

CAPJPO-Europalestine