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Hagai El-Ad, dirigeant de l’ONG israélienne B’Tselem : «Je suis un traître et fier de l’être»

Hagai El-Ad était en Belgique la semaine dernière, une visite au cours de laquelle il a rencontré des parlementaires belges et a accordé une interview au journal belge Le Soir.

Hagai El-Ad, dirigeant de l'ONG israélienne B'Tselem : «Je suis un traître et fier de l’être»


« Trois syllabes qui suffisent à hérisser le poil des défenseurs d’Israël. B’Tselem agace et ne s’arrête jamais. L’ONG israélienne publie régulièrement des rapports incendiaires contre les violations de l’Etat israélien à l’encontre des Palestiniens. Suffisant pour être considéré comme « traître à la patrie » dans son propre pays. Les menaces, les lois baillons ne suffisent pourtant pas à faire taire B’Tselem. Hagai

Le soir : Récemment, plusieurs attaques au couteau ont eu lieu dans les rues de Jérusalem. Comprenez-vous la peur constante qui peut être ressentie par les Israéliens ?

Hagai : Cette crainte est à la fois authentique et manufacturée. Je vis à Jérusalem, je peux m’identifier à toute personne qui s’inquiète de sa sécurité ou de celle de ses proches. Toute attaque contre un civil est répréhensible, il n’y a aucun compromis à faire là-dessus. Mais ce que je refuse de faire, c’est fermer un œil et ne regarder que ce qui arrive aux citoyens juifs, oublier ce qui arrive aux Palestiniens. Dès que ce genre de violence visible s’estompe, tout le monde suppose à tort que nous serions revenus à une époque paisible et tranquille. Mais la présence de la violence de l’État israélien dans la vie de chaque Palestinien est omniprésente. Tout le temps, perpétuellement. Les Palestiniens vivent sous un régime oppressif organisé et qui agit violemment contre eux, c’est quelque chose dont les gens doivent être conscients. Il n’y a pas deux côtés égaux ici : il y a une puissance occupante d’un côté et un peuple occupé de l’autre ; un pays diplomatiquement, internationalement, économiquement, militairement et technologiquement fort et un peuple opprimé.

D’ailleurs, ce conflit n’est pas très compliqué à comprendre. Faire croire que c’est compliqué est l’un des mécanismes utilisés par Israël pour effrayer les gens, les empêcher d’avoir une opinion. On n’a pas besoin d’être expert en droit international pour se faire une opinion sur l’injustice. Les personnes honnêtes, lorsqu’elles voient une injustice, la reconnaissent. Et ici, l’injustice se cache au grand jour.

Le soir : B’Tselem est l’une des rares organisations à qualifier Israël de régime d’apartheid et la seule israélienne à le faire aussi largement. Pourquoi ressentir le besoin d’une déclaration aussi forte ?

Hagai : Avant tout parce que nous le pensons. Une fausse image de la situation est répandue : celle d’une démocratie d’un côté de la Ligne verte (la frontière de 1967, NDLR.) et une occupation temporaire de l’autre. Au contraire, il y a un seul régime, de la rivière à la mer (du Jourdain, la frontière avec la Jordanie et la Syrie, à la Méditerranée, NDLR.). Et ce régime est basé sur la suprématie juive et la promotion des intérêts des Juifs au détriment des droits des Palestiniens. Tout régime qui contrôle des millions de personnes sans droits politiques pendant des décennies n’est, par définition, pas une démocratie. Fin de l’histoire. Personne ne pensait que l’Afrique du Sud (à l’époque de l’apartheid, NDLR.) était un État démocratique. Le deuxième aspect de notre déclaration est l’espoir. Une mauvaise analyse de la situation engendre de mauvaises solutions. En offrant une analyse correcte, nous verrons d’autres solutions émerger et des changements dans l’opinion publique internationale.

Le Soir : L’Union européenne est justement très critiquée pour son manque d’action.

Hagai : L’UE ne peut pas fuir. Cela se passe dans son voisinage direct, avec un pays (Israël) dont l’UE est le premier partenaire commercial. Mais tout ce que l’on obtient de Bruxelles, ce sont des paroles en l’air, des déclarations vides sur le soutien à une « solution à deux Etats », des inquiétudes sur « une fenêtre qui se referme », « une opportunité qui s’érode », et d’autres métaphores… Pendant combien de temps une chose peut-elle s’éroder avant de disparaître complètement ? Si l’UE ne soutient pas sa propre politique par des actions, face à quel genre de politique sommes-nous ?

Le Soir : Le gouvernement israélien a récemment désigné six organisations palestiniennes comme terroristes. Dans le passé, la Knesset a adopté un projet de loi mettant des bâtons dans les roues de B’Tselem. Craignez-vous de nouvelles lois à votre encontre ?

Hagai : Il y aura peut-être de nouvelles législations, mais en réalité, ils n’en ont pas besoin. Permettez-moi d’enfreindre la loi. Je soutiens le travail courageux et professionnel d’Al-Haq (une des six organisations palestiniennes concernées, NDLR.). Je demande au gouvernement belge et à l’UE d’augmenter le financement d’Al-Haq. Je viens d’enfreindre la loi israélienne car je viens d’appeler au financement d’une organisation terroriste. La législation antiterroriste en Israël est aussi draconienne qu’elle est contagieuse. Elle ne touche pas seulement l’entité désignée, mais aussi toute personne qui ose la financer, la soutenir, souhaiter son succès. Il est essentiel que la communauté internationale, les démocraties du monde entier, l’Union européenne, la Belgique défendent la société civile palestinienne et fassent clairement comprendre au gouvernement israélien que cette désignation est scandaleuse. Personne à Bruxelles ne veut financer le terrorisme. C’est évident, non ? S’il y avait un quelconque mérite à ce genre de bêtises (les accusations israéliennes, NDLR.), alors les Européens auraient réagi très sérieusement. Il y a une tolérance zéro pour le soutien à la violence ou à la corruption. En tant qu’ONG, nous recevons des subventions de l’UE. Nous connaissons très bien le niveau de surveillance dont nous faisons l’objet.

Le Soir : Œuvrer en faveur des droits de l’homme fait de vous, personnellement, mais aussi votre organisation, des « traîtres » en Israël. Comment vit-on cela ?

Hagai : A quoi sommes-nous censés être loyaux ? Si l’on me demande d’être loyal envers un régime d’oppression perpétuelle d’un autre peuple, alors je suis un traître. Si l’on demande d’être loyal envers une impunité totale, envers les violations des droits humains et les crimes de guerre, je suis un traître et fier de l’être. Ce n’est pas agréable d’être traité de traître. Mais il faut mettre cela en perspective. Avec tous les désagréments auxquels nous devons faire face, je suis un citoyen privilégié, juif, avec toutes les protections qui viennent avec au sein de mon Etat. Aussi désagréable que soit parfois la situation, un défenseur palestinien des droits de l’homme peut être frappé d’une interdiction de voyager, sa famille peut perdre son permis de travail et il peut être placé en détention, abattu. Je regarde avec une profonde admiration le courage de mes collègues palestiniens, qui sont non seulement opprimés par les autorités israéliennes, mais aussi par l’Autorité palestinienne qu’ils critiquent également.

Le Soir : Israël annonce régulièrement enquêter sur les abus, y compris ceux commis par sa propre armée. A quoi sert le travail de documentation et d’enquête de B’Tselem face aux violations des droits humains   ?

Hagai : Israël dit beaucoup de choses. Israël dit être une démocratie, Israël dit qu’il y a un Etat de droit, Israël dit qu’il y a des enquêtes. Nous devons examiner ces déclarations sur le fond et ne pas simplement les accepter comme telles. Malheureusement, la plupart de ces déclarations sont de la propagande vide.Israël prend de très longues années pour mener de soi-disant enquêtes. Et dans la grande majorité des cas, personne n’est tenu de rendre des comptes. Nous avons des données qui le montrent. Cela n’a rien d’une déclaration grandiloquente, non   ? Commission d’enquête après commission d’enquête, l’ONU est arrivée à une conclusion similaire.

Je dis cela sans aucune once d’arrogance : B’Tselem a plus d’expérience que n’importe quelle autre organisation sur le système d’enquête de la justice israélienne. Nous essayons depuis plus de 20 ans d’établir la justice et la responsabilité pour les victimes. Cela n’a rien de radical. N’importe qui peut comprendre que l’impunité ouvre la voie à la perpétuation des violations.

Hagai El-Ad, militant de sang-froid

Hagai El-Ad est toujours calme, a même un ton un peu monocorde. Mais il faut entendre ces paroles, qui tranchent et ne laissent pas de place au doute. Devenu directeur exécutif de B’Tselem en 2014, avant l’Opération Bordure protectrice, l’Israélien est régulièrement l’objet de campagnes qui le prennent pour cible. B’Tselem est la plus grande organisation israélienne qui milite pour les droits de l’homme. Menacé de mort, Hagai El-Ad sait que son statut de « traître » le met en danger : « Les traîtres, on les pend en haut d’un réverbère », disait le quinquagénaire au Haaretz.

Par deux fois, l’astrophysicien de formation s’est présenté devant le Conseil de Sécurité des Nations unies pour condamner les violations des droits humains et du droit international dans le chef d’Israël.

Par Pauline Hofmann Le soir.be https://www.lesoir.be/411972/article/2021-12-12/proche-orient-je-suis-un-traitre-et-fier-de-letre

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