Loin des projecteurs, un nettoyage ethnique, lent mais inexorable, se poursuit en Cisjordanie depuis 1967. Il passe par des implantations de colonies, des expulsions et démolitions, et par le harcèlement incessant des habitants pour les inciter à renoncer à leur terre. Mais les habitants s’accrochent et leur résistance se paie au prix fort.

Non violents ou pas, quatre résistants palestiniens sont encore tombés cette semaine dans un conflit ô combien asymétrique ! S’y ajoutent 52 Palestiniens blessés, 148 kidnappés, quelque 33, dont 15 enfants, jetés à la rue par la démolition de leur maison, 98 raids contre villes et villages, avec prise d’assaut de maisons de « suspects ». 50 manifestations violemment réprimées.
Et pour agrémenter le tout, 14 attaques de colons contre les biens et les personnes, sans compter leur tournée provocatrice quotidienne sur l’esplanade des mosquées.
Enfin, la Cisjordanie a été entravée par 26 fermetures de voies ou carrefours stratégiques et par 44 checkpoints temporaires s’ajoutant aux 108 permanents.
Dans la bande de Gaza, assiégée depuis plus de 15 ans, coupée du monde, privée de biens essentiels, les violations du cessez-le-feu par Israël sont quotidiennes. Ainsi, cette semaine, les soldats campés derrière la barrière de séparation ont tiré deux fois sur des habitants et pilonné 19 fois des terres agricoles. Les navires garde-côtes ont tiré six fois sur des flottilles de bateaux de pêche.

Et l’armée israélienne a procédé à deux incursions limitées à l’intérieur de l’enclave pour procéder à des travaux de terrassement destinés à faciliter le « travail » des snipers.
Trois meurtres et un homicide
Dimanche 6 vers 20 h, les forces d’occupation envahissent le village d’Abu Dis, près de Jérusalem. Un groupe de jeunes villageois résistent avec les maigres moyens dont ils disposent : pierres et cocktails molotovs. Un déluge de feu s’abat sur eux : balles métalliques, balles réelles et lacrymos.
L’un de ces jeunes, Yamen Nafez Jaffal (16 ans), est touché à la tête. Alors que les secouristes du Croissant Rouge tentent d’approcher, ils sont accueillis par des gaz lacrymogènes. Finalement, les soldats emportent la victime vers un hôpital israélien où son décès est constaté. Détail sordide mais habituel : les assassins du jeune homme refusent de rendre le corps (voir photos : https://europalestine.com/2022/03/07/carte-blanche-a-israel-pour-le-meurtre-de-jeunes-palestiniens/).
Le même jour, à la porte de la Rémission (Bab Hetta, l’un des accès à l’esplanade des mosquées), en un geste désespéré, Samer Jawal Qawasmi (19 ans) blesse avec un couteau deux policiers des forces d’occupation. Criblé de balles, il succombe aussitôt*.
Une scène presque identique se répète lundi vers 17 35 : Abed Jamal Qasem (22 ans) blesse au couteau deux policiers du checkpoint qui barre la porte du marchand de coton (Bab al-Qattanin), autre entrée de l’esplanade des mosquées. Il est immédiatement criblé de balles par un autre policier. Bien que le Palestinien soit à terre et désormais inoffensif, le policier continue à vider rageusement son chargeur à bout portant. Comme de coutume, les policiers empêchent les secours d’approcher alors que le jeune homme se vide de son sang. Là encore, le corps n’est pas rendu à la famille. Il s’agit bien d’une exécution extra-judiciaire de sang froid, avec l’aval du gouvernement, au mépris des conventions de Genève dont Israël est pourtant signataire…
Mercredi 9, Ahmad Hekmat Seif (23 ans) succombe à ses blessures reçues le 1er mars à Burqa (près de Naplouse) lors de la répression d’une manifestation non violente de soutien aux prisonniers.

Il avait reçu trois balles dans le ventre et le dos. Une grève générale a été décrétée en son hommage. Les funérailles d’Ahmed Seif ont donné lieu à de nouvelles violences de l’occupant, au cours desquelles un mineur a été blessé. (voir photos : https://europalestine.com/2022/03/10/ahmad-hekmat-seif-23-ans-du-village-de-burqa-meurt-de-ses-blessures/).
Les balles n’épargnent pas les enfants
Comme toutes les semaines, le vendredi, jour férié où ont lieu de nombreuses manifestations, est aussi le jour où les victimes de la répression sont les plus nombreuses. A Beita, la protestation contre la colonie d’Evyatar sur le mont Sobeih se solde par 6 blessés. Non loin de là, à Beit Dajan, ce sont 20 blessés que l’on dénombre, parmi lesquels deux soignants. A Hébron, trois des cinq blessés sont mineurs : Muhammad Iyad Al-Jabari (13 ans), Kamal Muhammad Al-Junaidi et Moataz Issa Hassouna (15 ans tous les deux). Le premier est gravement atteint. Au total, 34 manifestants ont été frappés par les projectiles de l’occupant ce jour-là.
Le lendemain, samedi 5, à Kafr Qaddoum (près de Qalqiliya), les villageois protestent contre le bouclage de leur village par les forces d’occupation. Celles-ci font feu sur les protestataires et deux mineurs sont frappés par des balles métalliques à la tête et dans les membres.
Le 6, à l’entrée de Bazaria, un véhicule de l’armée écrase le villageois Mutassim Nasr. Il est admis à l’hôpital de Naplouse. Le 7, un mineur figure parmi les 8 victimes d’une incursion israélienne à Silat al-Haritha, à l’ouest de Jénine. Le 9, les forces d’occupation prennent d’assaut l’université technique Kadoorie, à Tulkarem, où des étudiants célébrent la mémoire de Ammar Abu Afifa, assassiné le 1er mars (voir bilan précédent). Trois participants sont blessés…
Kidnappings en série
Le PCHR comptabilise cette semaine 180 incursions israéliennes en Cisjordanie, donnant lieu à 112 arrestations** lors de manifestations, au passage de checkpoints ou en pleine nuit à domicile. Parmi ces kidnappés, il dénombre 22 mineurs et une femme.

Ainsi, le 4, dans la vieille ville d’Hébron, les forces d’occupation s’emparent de Othman Hafeez Qafisha, âgé de 16 ans. Non loin de là, au camp d’Al-Fawwar, le jeune Qasim Al-Hamuz est détenu et « cuisiné » de 19h40 à 23h20, expérience très traumatisante pour un gamin de 13 ans ! Le 6, à 3h du matin, lors d’un raid sur le camp d’Aida à Bethléem, l’occupant kidnappe Issa Zarina et Mahmoud Ja’ara (17 ans tous les deux). Le 7, à 3h55 du matin, un raid sur la ville d’Azzun, près de Qalqiliya, se solde par la rafle de 11 habitants tirés du lit, dont deux jeunes de 16 ans : Muhammad Hawar et Mustafa Selim. Le même jour, à 21h50, Muhannad Mousa (16 ans aussi) est enlevé lors d’un raid sur Al-Khader, près de Bethléem.
Pour un jeune garçon, être trainé par des hommes en uniforme vers un poste militaire ou de police pour y être interrogé est une expérience très traumatisante, même si elle n’est que temporaire. L’occupant savait ce qu’il faisait quand il s’est emparé de Qasim al-Hamuz (13 ans), près d’Hébron, ou de six autres gamins à Rafat, près de Salfit, pour les relâcher quelques heures après. Il veut briser dans l’oeuf toute velléité de résistance. Jusqu’ici sans succès…
Depuis le début de l’année, le PCHR compte 864 habitants de Palestine occupée arrêtés, dont 115 mineurs et 9 femmes…
Punition collective
Lundi, 20h30, à Silat al-Haritha, à l’ouest de Jénine. Des soldats et des membres des unités spéciales escortent un bulldozer et des spécialistes des explosifs. Tout ce petit monde encercle la maison des frères Ghaith et Omar Yassin Jaradat, ainsi que celle de leur oncle, Mohammed Yousif Jaradat – tous incarcérés dans les geôles israéliennes. Ils sont accusés d’avoir participé à l’homicide d’un colon. Les soldats font sortir les familles des prisonniers ainsi que douze autres familles du voisinage, chassées à coups de gaz lacrymogènes et de bombes assourdissantes. Les villageois alentour réagissent en jetant des pierres sur les soldats, lesquels ripostent avec leur arsenal habituel. Comme indiqué plus haut, 8 habitants dont un mineur sont blessés par des balles métalliques et réelles et par des éclats de grenades. Le matin suivant, l’occupant parachève son œuvre de destruction. Les deux maisons sont pulvérisées et les trois familles privées d’abri, soit 13 personnes, dont 5 femmes et 3 enfants.

Est-il besoin de rappeler que le punitions collectives sont contraires au droit international ?
‘Grand remplacement’ à la mode israélienne
Le 3, au nord de la vallée du Jourdain, des colons installent des tentes et des étables, prélude à la création d’un nouvel avant-poste. Dans le même secteur et au même moment, les forces d’occupation démantèlent des installations agricoles palestiniennes et s’emparent de matériaux de construction.
Le 4, Raef Shweiki est contraint de détruire de ses propres mains sa maison de Beit Hanina, au nord de Jérusalem, jetant sa famille à la rue***.
Le 6, les forces d’occupation installent des poteaux électriques et construisent un chemin en vue d’étendre la colonie de Majdolim, à Qusra, près de Naplouse.
Le 7, une nouvelle auto-démolition à Beit Hanina prive de toit une famille de 5 personnes, dont une femme et 3 enfants.
Le 8, l’occupant détruit lui-même deux maisons d’Hébron, transformant en SDF deux familles, soit 11 habitants, dont 3 femmes et 7 enfants.
Le 9, démolition d’une maison de 100 m2 à l’est d’Hébron. Destruction d’une maison en construction dans le camp de réfugiés de Shu’fat, à Jérusalem Est. A Battir, près de Bethléem, des colons aplanissent une terre récemment volée en vue d’y établir un avant-poste. A Birin, au sud d’Hébron, village récemment attaqué par des colons, destruction par les forces d’occupation des réservoirs, canalisations, pompes et câbles électriques qui desservent Murshid al-Atiyat.
Le message est clair : « Dégage ! » Pendant ce temps, les colons continuent de s’en prendre aux cultures des Palestiniens. Le 5, à l’est de Yatta, ils arrachent 300 amandiers et font paître leur bétail sur les cultures des villageois. Le 6, ils arrachent 190 oliviers, volent 40 plants et saccagent une grange à Kafr ak-Dik. Quatre-vingt autres oliviers sont détruits à Duma. Le 9, saccage de 10 oliviers à Yasuf et 60 plants de vigne toujours à Kafr ak-Dik. C’est ainsi qu’Israël fait fleurir le désert…

* Par son absence de soutien à la résistance non violente des Palestiniens, l’occident ne porte-t-il pas une part de responsabilité dans ces attaques au couteau ? Elles sont qualifiées de « terroristes » par la presse « mainstream ». Mais quel point commun y a-t-il entre le fanatique qui s’en prend à un passant, dont le seul crime supposé est de ne pas partager sa vision simpliste de la religion, et le résistant qui, comme le droit international l’y autorise, s’oppose à un soldat d’occupation avec les maigres moyens dont il dispose ? Ce résistant est-il plus coupable que l’Ukrainien qui dispose d’armes autrement meurtrières pour s’opposer à l’occupation de son pays ?
** Le PMG en compte 148, dont 12 enfants, plus 13 à titre temporaire, dont 7 enfants.
*** Dans sa grande bonté, John Kerry, le Secrétaire d’Etat d’Obama, avait proposé que Beit Hanina soit la capitale d’un Etat croupion de Palestine, en échange de la reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat juif. Mahmoud Abbas avait décliné l’offre…
Compilé par Philippe G. pour CAPJPO_Europalestine à partir du Palestinian Centre for Human Rights (PCHR) et du Palestinian Monitoring Group (PMG): http://www.nad.ps/
CAPJPO-EuroPalestine