Header Boycott Israël

Les Israéliens indifférents au sort des enfants de Gaza, dénonce Amira Bass

La journaliste du quotidien Haaretz, connue pour son opposition de toujours à l’entreprise coloniale israélienne, reprend la plume ce mardi, pour crier son désespoir quand elle constate l’indifférence de ses concitoyens face au massacre du peuple palestinien.

(Traduction de l’anglais par CAPJPO-EuroPalestine)

Titre : Israël a tué des milliers d’enfants à Gaza. Pourquoi tant d’Israéliens restent indifférents

(par Amira Haas, Haaretz, 19 décembre 2023)

Pendant des décennies, on nous a fait croire que seule l’emploi de la force militaire garantissait la survie de l’État, tout en déniant les Palestiniens de leurs droits. Voici donc une des tristes réponses à la question.

La bande de Gaza est progressivement rasée, avec ses habitants, ses familles, ses enfants, leurs sourires et leurs rires. Comment se fait-il que la majorité des Israéliens juifs approuve cette éradication systématique ?

Qu’est-ce qui les amène à estimer qu’il s’agit là de la seule réponse acceptable au massacre perpétré par le Hamas et ses complices, à l’humiliation militairement infligée à Israël, et aux souffrances indescriptibles endurées par les otages, les blessés, les survivants, leurs familles, et les familles des centaines qui ont été tuées ?

Les Israéliens indifférents au sort des enfants de Gaza, dénonce Amira Bass
Pendant le bombardement de l’hôpital Nasser à Khan Younès, le 16 décembre

L’armée israélienne des rues de Gaza et des allées de ses camps de réfugiés. Elle détruit les promenades des plages de Gaza, les villages, et les terres agricoles. Elle détruit les institutions culturelles, les universités, les sites archéologiques.

L’infrastructure militaire du Hamas est en cours de destruction, et pourrait l’être totalement. Des milliers d’hommes armés ont été tués ou vont l’être. Mais cette organisation se reconstruira, et avec elle ses dirigeants, partout où la destruction de la bande de Gaza se poursuit.

Comment comprendre le fait que la majorité des Israéliens juifs ne soient pas choqués quand ils savent qu’en deux mois, nous avons tué environ 7.000 enfants (et ce total n’est que provisoire) à l’aide de bombes américaines sophistiquées ?

Comment interpréter le fait que la plupart des Juifs soient incapables de saisir l’horreur que constitue l’entassement d’1,8 ou 1,9 millions de personnes sur 120 kilomètres carrés, une prétendue ‘zone sûre’ mais qui est constamment bombardée ?

Qu’est-ce qui empêche ces Juifs de crier quand ils apprennent la faim et la soif de 2,2 millions de civils palestiniens, l’apparition d’épidémies,  l’absence d’approvisionnement en eau, et l’effondrement du système hospitalier ?

Qu’est ce qui permet cette éradication et la tuerie des enfants, avec notre participation active ou passive ? Voici quelques éléments de réponse :

• Pendant des décennies, on nous a appris que seule la force militaire pouvait assurer la survie du pays et sa capacité à prospérer, tout en déniant leurs droits aux Palestiniens.

• Ce faisant, nous avons interdit l’évocation de tout ‘contexte’. Qui emploie cette notion a tôt fait d’être traité de suppôt du Hamas et de justifier les horreurs perpétrées par ce dernier.

• Nous autres Juifs sommes convaincus d’avoir le monopole de la souffrance, infligée par la cruauté de l’Autre.

• Nous avons choisi de détourner le regard de ces images insupportables des enfants palestiniens tremblant, leurs visages gris de poussière, extirpés vivants des ruines d’un immeuble bombardé. Et allez savoir qui est le plus chanceux : l’enfant qui a survécu, ou celui qui a été tué ?

• Chacun des massacres, ou des tueries sélectives que nous avons faits pendant des années, chaque vol, chaque brutalité et chaque humiliation de Palestiniens est passé à la moulinette des médias, des psychologues et des universitaires. Le résultat, c’est qu’on se dit que les Palestiniens ont finalement un sort meilleur que celui des Somaliens ou des Syriens, et qu’ils n’ont pas à s’en plaindre.

• Nous avons la mémoire de chaque massacre commis par des Palestiniens contre des Israéliens. Et nous oublions tout massacre commis par des Israéliens contre des Palestiniens.

Dans Rafah, samedi 16 décembre

• Pendant des décennies, nous nous sommes habitués à vivre dans un certain confort, alors qu’à cinq minutes de là Israël (autrement dit, nous-mêmes) détruisent les maisons des Palestiniens, et en construisent pour des Juifs, avec des canalisations d’eau pour les Juifs, laissant les Palestiniens à leur soif. On trouve tout cela dans les rapports détaillés d’organisations de défense des droits humains comme HamoKed, B’Tselem et Adalah.

• Pendant des décennies, nous avons ignoré les Palestiniens ‘modérés’ qui nous prévenaient que le vol continuel de leurs terres et la violence des colons -soutenue par l’État et inspirée par la propre violence de ce dernier- bouchait l’horizon de leurs enfants, générait le désespoir, et le recours à la seule lutte armée comme moyen de se venger.

• Nous avons adopté une vision essentialist : les Palestiniens sont des terroristes, parce que c’est comme cela qu’ils sont. Ils sont nés avec les gènes de la haine contre nous ; ce sont les descendants de l’Empereur romain Titus et des pogromistes comme Khmelnytsky dans l’Europe l’Est du 17ème siècle. 

• Nous sommes persuadés d’être un pays démocratique, alors même que depuis 56 ans nous régnons sur des millions de sujets dépourvus de droits civils, dont nous contrôlons les terres, la monnaie et l’économie.

• Nous avons un profond mépris raciste pour les Palestiniens, mépris que nous avons précisément développé pour justifier, d’un point de vue à la fois cognitif et psychologique, le fait de les piétiner.

• Nous sommes dans le déni de l’histoire de la Palestine, et de son enracinement entre la Rivière et la Mer.

• La destruction de la bande de Gaza a été rendue possible parce que depuis 1994, nous avons délibérément de saisir les opportunités -que nous offraient les Palestiniens- de gommer une partie qui fait de nous une entité coloniale, et leur permettre d’avoir un État sur 22% du territoire compris entre le Jourdain et la Mer Méditerranée (Gaza inclus). J’écrivais, en juillet 2021, que « dans toute la fureur du débat au sujet de l’apartheid, une composante active, dynamique et dangereuse de la question, à savoir le colonialisme juif, avait été largement ignoré.

 » Aux dires de l’idéologie et de la politique du mouvement colonial, les Palestiniens étaient superflus. En résumé, il est possible, pertinent et souhaitable de vivre sans Palestiniens entre mer et Jourdain. Leur présence ici est conditionnée à notre bon vouloir. Ce n’est qu’une question de temps. L’idéologie sur le caractère ‘superflu’ de la présence palestinienne est un poison, surtout par les temps qui courent où le mouvement des colons est à son apogée … La colonisation est un processus continuel d’accaparement de la terre, de rupture des frontières historiques, et de l’expulsion de ses indigènes », écrivais-je.

J’avertissais alors sur les intentions d’expulsion des Palestiniens de la Cisjordanie. Mais je pensais alors que pour le mouvement colonial, le fait de maintenir les habitants de Gaza hors de portée du reste de la terre (soit Israël et la Cisjordanie) était suffisant.

Mais il apparait maintenant que cette notion d’habitants « superflus » se traduit par l’expulsion, maquillée en départ volontaire pour échapper aux bombes. Cela se traduit par la destruction physique des Gazaouis, et les premiers projets de reconstruire des colonies juives à Gaza. Malheur à eux, malheur à nous.

CAPJPO-EuroPalestine