Header Boycott Israël

Tout ce que Ahmad Hussein Faraj sait, c’est qu’il est « comme mort » (REPORTAGE DE L’AFP)

CAMP DE REFUGIES DE JENINE (Cisjordanie), 18 avr (AFP) – Le vieil homme ne sait pas où est sa femme et le corps de son fils que des habitants disent avoir vu mort. Il ne peut dire avec précision où s’élevait sa maison, réduite à un tas de pierres. Il se sent « comme mort ».


Ahmad Hussein Faraj, 70 ans, monte avec difficulté les quelques marches menant à l’appartement de la famille Abou Gutna, dans un quartier du camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, relativement épargné par les combats et destructions israéliennes.

Là, le vieux Palestinien, coiffé d’un keffieh, le corps appuyé sur un bâton qui lui sert de canne, pieds nus, raconte les deux dernières semaines de sa vie. De sa vie de père de famille, ancien ouvrier, propriétaire d’une maison de deux étages au centre du camp.

Il raconte comment au début des opérations, il y a un peu moins de deux semaines, il s’est terré avec sa femme, ses trois filles et ses quatre fils dans la chambre à coucher. Elle semblait, selon ses calculs, la moins exposée aux tirs de missiles.

Au bout de trois jours, Ahmad Hussein Faraj ordonne à sa famille de partir. « Je leur ai dit +partez d’ici+, je ne pensais qu’à les sauver. Moi, je suis resté pour voir évoluer la situation », dit-il.

Ses filles, plus âgées, sont allées chez des cousins. Sa femme et les plus jeunes de ses fils, âgés d’environ 13 ans, sont partis, sans rien prendre. Depuis, il n’a pas de nouvelle. Sont-ils partis comme des centaines d’autres vers la ville de Jénine, à la bordure du camp ? « Je ne sais pas », répond-il.

Après une nuit et un jour, il est aussi parti. Voyant les bulldozers s’approcher de sa maison, il est sorti à toute vitesse. « Je me suis réfugié chez des voisins où je vis depuis ».

Il assure que les soldats israéliens n’ont pas cherché à voir s’il y avait quelqu’un dans la maison, contrairement à d’autres fois, où des appels avaient été lancés à la population pour qu’elle évacue ses maisons. « Si je n’avais pas fait attention, ils m’auraient tué ».

Après la mort de 13 de ses soldats, l’armée israélienne a rasé la place Hawashine, au centre du camp, où ont eu lieu les combats les plus durs. Et avec elle la maison d’Ahmad Hussein Faraj.

Depuis, il attend. Les histoires viennent à lui. On lui a appris il y a une semaine que son fils, Abdel Rahman, est mort. Qu’on a vu son corps. « Je n’en sais pas plus », dit-il.

Son fils aîné partit avec les combattants, mais il n’appartenait, selon lui, à aucune organisation connue comme le Hamas ou le Jihad Islamique, très présents dans le camp et qui ont revendiqué plusieurs attentats suicide en Israël.

Et puis, il y a l’étrange histoire, invérifiable, de son second fils, Yihyah, « réapparu un jour, sorti vivant des décombres », poursuit le vieil homme. « C’est ce que des gens m’ont dit », dit-il laconiquement.

Maintenant, Ahmad Hussein Faraj attend que les « patrouilles israéliennes cessent », pour chercher sa femme. « Je vais interroger des gens, demander où ils l’ont vue pour la dernière fois ».

S’il va reconstruire sa maison? « Jamais », lance-t-il. « Comment voulez-vous, je n’ai rien, je n’ai pas d’argent, j’ai tout perdu ».

« Je suis comme mort », « mais j’ai mes filles et je suis responsable d’elles », dit-il.

Comme en écho à cette souffrance, un autre Palestinien, également âgé, s’avance doucement sur la place Hawashine. Lui aussi est seul. lui aussi a vu sa maison rasée. Lui aussi est sonné.

« Les enfants israéliens vont à l’école, ils jouent, ils nagent. Nous, notre mer, c’est ça », dit-il en montrant, d’un large mouvement du bras, l’immense tas de débris qu’est aujourd’hui la place.

« Tous les conflits trouvent une solution, tous. Sauf le notre ». Et de lâcher, totalement dépité, « Où est Dieu ? Il dort », avant de piétiner un matelas de mousse défoncé.