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ENTRE DJENINE ET DEIR YASSINE

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Entre Djénine et Deir Yassine
par Meron Benvenisti
Il y a exactement 54 ans, le massacre de Deir Yassine avait lieu, et
aujourd’hui, la tragedie de Djénine s’est ajoutee a une histoire
palestinienne ponctuee par les tragedies. Et il y a de nombreux signes
montrant que Jenine rejoindra Deir Yassin dans la construction de la
philosophie nationale des Palestiniens.


Entre Djénine et Deir Yassine
La plus grande partie de l’histoire palestinienne est constituee de
desastres et de catastrophes, ce qui, apres tout, a ete reellement le sort
de ce peuple martyrise, mais il n’y a rien en cela de tres particulier. De
nombreuses autres nations utilisent le desastre bien plus efficacement que
la victoire pour creer un etendard auquel rallier leur peuple. Mais il
semble que le desastre de Jenine possede un pouvoir extraordinaire, au-dela
de Sabra et Chatila, Karameh et les evenements du Mont du Temple en 1991,
qui met Jenine au meme niveau que Deir Yassin, le symbole tragique du
desastre palestinien de 1948 nomme la Nakba (catastrophe).

A premiere vue, on ne peut pas comparer un massacre barbare, commis par des
bandes juives contre des villageois arabes sans defense, avec une operation
militaire de grande envergure qui, au cours d’un combat contre des forces de
guerrilla, a tout detruit sur son passage et tue des civils innocents. Mais
les « faits objectifs », qui demeureront a jamais controverses, ne sont pas
ceux qui edifient un mythe national. C’est plutot le contexte dans lequel
certains faits se sont deroules, et leur ponctuation en termes de causes et
effets, qui rendent Deir Yassin et Jenine comparables : dans les deux cas,
les Palestiniens considerent que l’intention etait de detruire
l’infrastructure collective du peuple palestinien.

Quelque horribles que puissent etre les details, ce ne sont pas les
evenements de Jenine qui comptent, mais la signification et l’essence de ce
que les Palestiniens croient etre les intentions des Israeliens, au-dela
d’objectifs militaires rationnels comme le controle, la dissuasion et la
prevention. Frapper la societe palestinienne, la forcer a retourner a sa
condition d’il y a deux generations, apres Deir Yassin. Les monceaux de
gravats du camp de refugies de Jenine vont devenir un memorial, qui
commemorera aussi les constructions millenaires de Naplouse qui ont ete
detruites, les rues demolies de Bethleem, et les ordinateurs et les banques
de donnees meticuleusement constituees a Ramallah, fracasses par les
« combattants contre l’infrastructure terroriste ». Maintenant que
l’infrastructure est detruite, les Palestiniens peuvent travailler a
reconstruire leurs vies, privee et collective, mais ils devront garder en
memoire que l’homme au baton peut toujours, d’un seul coup, detruire toute
la fourmillere.

La comparaison entre Deir Yassin et Jenine ne se limite pas aux
Palestiniens. De nombreux Israeliens ne s’opposeront pas a cette
comparaison, parce qu’eux aussi percoivent un lien direct entre les
evenements d’avril 2002 et ceux d’avril 1948, et seraient heureux si les
Palestiniens pouvaient avoir la meme reaction de panique et de fuite que
celle qu’ils ont eue apres Deir Yassin. Et beaucoup d’Israeliens seraient
d’accord avec l’affirmation selon laquelle il ne peut y avoir aucune
distinction entre l’infrastructure terroriste et l’infrastructure collective
du peuple palestinien, parce que, selon eux, la collectivite palestinienne,
representee par ses institutions elues, est une organisation terroriste. Par
consequent, la destruction de ses banques de donnees sert le dessein de la
guerre contre le terrorisme.

Le fait d’effacer les 54 ans qui separent Deir Yassin de Jenine renforce la
crainte que le modele, rationnel et optimiste, qui decrivait le conflit
israelo-palestinien comme un conflit national-ethnique, soluble par un
accord « deux Etats pour deux peuples », n’ait jamais ete possible, ou que des
forces puissantes se soient arrangees pour le detruire. L’hostilite de fond
entre une societe de colons et une societe indigene ne permet pas la
reconnaissance mutuelle en une egalite en droits, et ainsi, la separation
sur une base egalitaire ne semble pas possible.

L’entite bi-ethnique existant sur toute la Palestine du Mandat (britannique,
ndt) s’est consolidee par les evenements d’avril 2002, et la fiction d’Oslo
et d’une occupation indirecte s’est evanouie avec l’occupation des
territoires de l’Autorite palestinienne et la destruction de ses
institutions. La realite de ce bi-nationalisme de facto ne laisse d’autre
choix que de penser en termes d’une entite geopolitique unique, et de nous
concentrer sur une campagne destinee a imposer des normes humanitaires qui
rendront impossible un troisieme Deir Yassin.

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