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MASSACRES AU PROCHE-ORIENT : DOS A DOS ? (Par Michel Warschawsky)

Article publié dans l’hebdomadaire Rouge (1/8/2002) – « Ariel Sharon poursuit sa campagne de pacification des territoires occupés
avec la même détermination et la même brutalité qu’il y a un an. La vie des civils palestiniens ou israéliens importe peu face à sa stratégie
impitoyable de colonisation dans un Grand Israël définitivement unifié.


Le fait qu’il n’y ait plus grand-chose à détruire, que les institutions
civiles et militaires de l’Autorité palestinienne ont été réduites a néant,
que la population palestinienne toute entière soit enfermée dans plus d’une
cinquantaine de zones complètement isolées les unes des autres, et que dans
certains endroits la faim commence à s’ajouter à l’absence de soins médicaux
et à de réels dangers d’épidémies, rien de cela n’est satisfaisant pour
Ariel Sharon, pour qui il faut continuer à tuer et à détruire jusqu’à ce que
les Palestiniens capitulent et acceptent de renoncer à leur volonté
d’indépendance dans les territoires occupés en juin 1967.

Un timing très approprié

Le dernier massacre a eu lieu la semaine dernière à Gaza lorsqu’un avion de
chasse a lancé, en pleine ville, une bombe de 1 000 kilos dans le but
d’assassiner le leader islamiste Salah Chéhadé: treize civils morts dont de
nombreux enfants. Erreur de jugement, faille dans les renseignements
militaires, timing inapproprié, affirment les ministres travaillistes qui
montrent par là enfin ce qu’est leur rôle dans ce gouvernement entièrement
dominé par l’extrême droite.
Mais le timing, précisément, n’était pas inapproprié du tout: par
l’intermédiaire de la Grande-Bretagne et de l’Arabie Saoudite, un accord de
cessez-le-feu était sur le point d’être signé par l’ensemble des groupes
armés palestiniens, Hamas compris. Le journaliste israélien Alex Shifman en
a donné les grandes lignes et le chef de la diplomatie européenne au
Proche-Orient en a confirmé l’existence. Pour Sharon et son entourage, il
fallait coûte que coûte empêcher l’éventualité d’un cessez-le-feu
palestinien qui aurait rendu difficile la poursuite des opérations de
répression dans les territoires occupés. Comme il l’avait déjà fait avec le
meurtre de Raed Carmi il y a six mois, Sharon a pris la décision
d’assassiner un leader central de la résistance pour provoquer de nouveaux
attentats et de pouvoir ainsi justifier aux yeux de George W. Bush et de sa
propre opinion publique de nouvelles mesures militaro-répressives dans les
territoires occupés.

C’est dire à quel point la vie des civils importe peu pour le boucher de
Kibya comme de Sabra et Chatila, qu’ils soient palestiniens ou israéliens,
face à sa stratégie impitoyable de colonisation dans un Grand Israël
définitivement unifié. C’est dire aussi combien hypocrite est la politique
européenne qui dénonce « la violence des deux côtés » et renvoie dos à dos
Sharon et Arafat: chaque fois que les organisations palestiniennes décident
de renoncer à l’usage, légitime s’il en est, de la résistance armée contre
une occupation barbare, la violence de l’occupant qui, elle, ne s’est jamais
arrêtée, les provoque à reprendre les armes.

Délégitimation

Quant à Yasser Arafat, il est totalement marginalisé dans un combat où
l’arme du désespoir que sont les opérations suicides contre des civils
semble être la seule réponse disponible au terrorisme d’Etat d’une des plus
grandes puissances militaires du monde. Il y a dans le personnage, que les
Palestiniens continuent à percevoir comme leur leader national, à la fois du
tragique et du pathétique: après avoir, il y a quatre décennies, remis le
peuple palestinien sur ses pieds et unifié sa lutte de libération nationale
dans un mouvement unifié et internationalement reconnu, Yasser Arafat a
fait, quasiment seul, le choix de la réconciliation, ce qui lui a d’ailleurs
valu le prix Nobel de la Paix. Le processus de paix, lui-même extrêmement
problématique et semé d’embûches, est liquidé par la droite israélienne
revenue au pouvoir après l’assassinat de Rabin, mais le dirigeant
palestinien s’obstine à rechercher la réconciliation. Malgré les
déclarations répétées des dirigeants israéliens sur la caducité du processus
de paix, malgré la destruction de l’autorité palestinienne, malgré une
politique de répression et de terreur qui a provoqué la mort de près de 2
000 civils palestiniens, Yasser Arafat continue à voir dans la paix avec
Israël un objectif stratégique et dans le processus d’Oslo un mécanisme
qu’il faut ressusciter.

Ce n’est pas le prix Nobel de la Paix qu’il mérite, mais celui de Juste des
nations, cette consécration que donne l’Etat d’Israël aux hommes et aux
femmes qui, au risque de leur vie, ont sauvé des Juifs pendant la terreur
nazie.

En guise de récompense, Yasser Arafat a été inclus dans la liste des
« wanted » de Bush, aux côtés de Ben Laden et de Saddam Hussein.
Architerroriste qui n’a eu la vie épargnée que parce que les dirigeants
arabes, effrayés par les conséquences éventuelles d’un assassinat du leader
palestinien, se sont engagés à le neutraliser. Sharon est prêt à leur donner
une chance …

La délégitimation du leader palestinien fait des ravages, y compris dans le
mouvement de solidarité avec la Palestine, au sein duquel les critiques
légitimes d’une gestion autoritaire, corrompue et inefficace, font parfois
oublier que cette délégitimation vise en fait à absoudre les crimes de
guerre de Sharon ou, pour le moins, à modérer sa responsabilité. Dire
aujourd’hui « Sharon et Arafat sont responsables », ou « il faut des réformes
structurelles dans la gestion palestinienne pour pouvoir reprendre le
processus de paix » c’est tomber dans le piège de l’équidistance et renforcer
l’opacité sciemment entretenue sur les causes de la crise en Palestine.
Ne s’y trompent pas les Palestiniens qui unanimement font front avec leur
leader, et ne cessent de répéter à qui veut bien encore les entendre:
« Certes, nous voulons mettre fin à la corruption et à l’autoritarisme,
certes, nous voulons une réforme des institutions, oui, nous voulons des
élections et un nouveau leadership, mais nous le ferons démocratiquement et
sans l’intervention des maîtres en démocratie que sont Bush et Sharon. »

Fausses symétries

Certains intellectuels français nous disent qu’il faut modérer les
critiques contre le criminel de guerre Sharon parce qu’il a été élu
démocratiquement par le peuple israélien. Yasser Arafat, lui, a été
plébiscité par son peuple, dans des élections dont le caractère
démocratique a été salué par l’ensemble de la communauté internationale. La
différence est que Yasser Arafat a été élu par son peuple sur un programme
de paix, alors que Sharon n’avait jamais caché ses objectifs guerriers et
colonisateurs. Et cela aussi il faut le prendre en considération quand on
tente de créer des fausses symétries entre occupants et occupés pour faire
partager à ces derniers une part de la responsabilité de la violence inouïe
qu’ils subissent depuis plus de vingt mois.

Michel Warshawski