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TRIBUNE : PARIS 6, ISRAEL, ORIANA FALLACI, LE RABBIN FARHI ET LES AUTRES

21 janvier – (Par le Pr Bertrand BLOCH) – La nature et la virulence des réactions à l’initiative prise par l’Université Paris VI proposant un gel des relations avec les universités israéliennes par la communauté européenne cristallise le débat empoisonné qui se fait jour depuis de nombreux mois en France.


On peut certes trouver l’initiative de Paris VI, anormale, contre productive et contraire aux intérêts de la paix au Proche-Orient. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une initiative pacifique, visant à attirer au Proche-Orient et en France l’attention de tous ceux qui dans les milieux intellectuels sont désespérés de voir en Israël et en Palestine la haine, la mort et la négation de l’autre l’emporter sur la volonté de vivre ensemble. Nous sommes nombreux en France et en Europe à connaître et à respecter la qualité scientifique et l’ouverture d’esprit de nombre de nos collègues israéliens. Ce qui est en cause aujourd’hui, chacun le sait, c’est la politique inacceptable de leur gouvernement depuis l’arrivée au pouvoir d’Ariel Sharon, c’est le désespoir de tous ceux qui sont consternés de voir un pays perdre son âme en associant sa violence aveugle et son idéologie à celle des fanatiques de l’autre bord. A ceux qui disent avec mépris aux universitaires de ne pas se mêler de politique, il faut rappeler que nos activités d’enseignement et de recherche ne sont pas neutres. Il fut un temps, sous Itzhak Rabin, où le gouvernement israélien encourageait, avec les pays arabes voisins et les Palestiniens une politique commune de santé et de recherche. Nous sommes tous, de par nos statuts et nos activités, de par nos cultures et nos engagements, représentatifs de nos sociétés et des orientations politiques de nos gouvernements. Faut-il rappeler que c’est à travers des collaborations scientifiques internationales dont la France a eu sa part qu’Israël d’une part, l’Irak d’autre part ont pu accéder à la technologie nucléaire ? La polémique d’aujourd’hui doit être utile pour demander à nos grandes institutions de la recherche et de la médecine française (Universités, C.N.R.S, INSERM, CHU) de privilégier spécifiquement les programmes qui encouragent les collaborations entre scientifiques palestiniens et israéliens, en dépit des orientations détestables du gouvernement israélien actuel et du terrorisme des extrémistes palestiniens; Je me réjouis que l’initiative de l’Université Paris 6 ait suscité la réponse de Idan SEGEV (Libération du 6 janvier), à l’Université de Jérusalem, en faveur de l’organisation de telles collaborations. Nous sommes nombreux à avoir envie d’entendre aujourd’hui haut et fort en France cet autre Israël dont le souci est de trouver une solution de paix dans le respect des aspirations du peuple palestinien.

Dans ce contexte, en tant qu’universitaire et scientifique français, en tant que démocrate et que juif, je suis humilié et choqué par la virulence et l’amalgame des réactions de ceux qui, en soutenant sans nuance et sans réserve la politique d’A. Sharon, prétendent, par leur manifestations défendre la cause d’Israël et représenter l’opinion des juifs de France. La lutte contre l’antisémitisme et contre toute forme de racisme ne se partage pas, en particulier dans un pays comme le notre. Je trouve pernicieux et dangereux que notre pays accepte aujourd’hui, au nom de la liberté d’expression, que soient diffusés des propos choquants comme ceux de M. Houelbecq et des brûlots abjects, racistes et pernicieux comme ceux d’O. Fallaci, ou que soient engagés des procès contre des journalistes indépendants. On ne peut pas accepter que ceux qui contestent l’initiative de Paris VI invoquent à ce propos, l’université des années sombres et le comportement des nazis. Au nom de quelle mémoire, au nom de quelle cause, jeter aujourd’hui cet anathème malsain, comme le font Bernard-Henry Lévy et d’autres, sur le monde universitaire francais ? Comme ceux-là, j’ai eu moi aussi des membres de ma famille morts en déportation et je partage l’angoisse des miens qui ont fait le choix de s’installer en Israël et qui en vivent aujourd’hui le quotidien. Que ceux qui invoquent la mémoire se rappellent certains membres éminents de notre communauté juive saluant, il y a quelques mois à peine, les résultats électoraux de J. M. Le Pen, au nom de la lutte contre l’islamisme. L’agression contre le rabbin Farhi, son courage et ses prises de position en faveur du dialogue israélo-palestinien, les témoignages d’amitié qu’il a reçu de toutes les communautés religieuses nous rappellent aujourd’hui que la ligne de partage n’est plus entre Israël et la Palestine, n’est pas entre la communauté juive et la communauté arabo-musulmane, mais entre ceux qui au Proche-Orient ou en France veulent privilégier le vivre ensemble, contre ceux des deux bords qui prônent le fanatisme et le repli communautaire.

Bertrand Bloch est professeur à L’Université V. Segalen à Bordeaux, directeur d’Unité CNRS et membre de la C.A.P.J.P.O (Coordination des Actions pour une Paix Juste au Proche-Orient)