Header Boycott Israël

JUDAISME, RETOUR A QUELLE REALITE ? (Par Pierre Stambul)

Partagez:

19 mai – A lire, ci-dessous, un exposé de Pierre Stambul, de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), s’adressant, comme l’indique l’auteur, aux Juifs et aux Non Juifs.

« Aux premiers pour qu’au-delà des discours irrationnels, ils retrouvent les valeurs universelles du judaïsme. Aux seconds pour qu’ils évitent le piège des confusions entre juif et sioniste », précise-t-il.


Il n’y a pas d’issue militaire à la guerre entre Israël et la Palestine. Si celle-ci continue, c’est en grande partie à cause du soutien absolu et irrationnel apporté par la majorité des Israéliens et des Juifs de la Diaspora à une politique de conquête, de colonisation et de négation des droits du peuple palestinien. Soutien qui va jusqu’à accuser d’antisémitisme toute personne critique vis-à-vis d’Israël ou du sionisme.

C’est le « complexe de Massada » qui est à l’œuvre. Le sentiment fou et faux que l’alternative à cette politique, c’est l’anéantissement des Juifs. Un sentiment né d’ une vision tragique de l’histoire des Juifs.
Le repli communautariste et la recherche d’une identité souvent falsifiée ne sont pas l’apanage des Juifs. Conséquence de la mondialisation libérale et de ses ravages, de nombreux peuples se réfugient dans une histoire mythifiée et dans un retour « identitaire » souvent intolérant. Rien ne prédisposait le peuple juif (ou les peuples juifs, car il y a débat sur l’existence d’un unique peuple juif) à approuver massivement une politique de colonisation et d’alliance avec l’extrême droite chrétienne américaine.

L’histoire et l’identité juives sont beaucoup plus complexes. C’est en faisant un retour sur la diversité de cette identité qu’on sortira des simplifications meurtrières. Et qu’on réalisera qu’à tous les moments de l’histoire, il y a eu chez les Juifs une confrontation entre ceux qui s’ouvraient au monde et ceux qui prônaient le repli communautaire ou l’enfermement.

Cet exposé s’adresse aux Juifs et aux Non Juifs. Aux premiers pour qu’au-delà des discours irrationnels, ils retrouvent les valeurs universelles du judaïsme. Aux seconds pour qu’ils évitent le piège des confusions entre juif et sioniste.

Les uns comme les autres ont besoin d’analyser la complexité de la situation actuelle.

— Oui, l’antisémitisme est une horreur. Mais l’antisémitisme a persécuté et décimé les « parias » d’une minorité opprimée, cela n’a rien à voir avec les tankistes de la quatrième armée du monde.

— Oui, le génocide de la seconde guerre mondiale a été un crime absolu, l’achèvement de tout ce qu’on peut imaginer de pire dans la négation et la destruction de « l’autre ». Mais son instrumentalisation pour justifier l’occupation d’un peuple et la destruction méthodique de sa société est indécente.

— Oui, la question d’un « havre de paix » pour les survivants du génocide se posait après 1945. Mais le projet sioniste (une terre sans peuple pour un peuple sans terre) est basé sur le mensonge. L’expulsion programmée des Palestiniens de leur propre pays en 1948 (la Nakba) a été un crime.

— Oui, l’existence du peuple israélien est un état de fait sur lequel il n’est pas question de revenir. Mais à la condition que cette reconnaissance s’accompagne d’une reconnaissance du peuple palestinien avec les mêmes droits et la même dignité.

La Bible et l’identité juive
Le peuple juif se constitue véritablement avec l’écriture d’un texte fondateur : la Bible. Les fêtes juives et les rites religieux sont presque tous liés au récit biblique. Au-delà de l’irrationnel sur lequel une argumentation n’a pas de prise, que peut-on dire de ce récit ? Deux archéologues israéliens, N. A. Silberman et I. Finkelstein ont écrit un livre (la « Bible dévoilée ») qui explique ce qui fait consensus chez les archéologues.
L’essentiel du récit, tiré de diverses légendes, est imaginaire. Il n’y a plus de débat scientifique sur cette question. Les Hébreux ne sont pas venus de Mésopotamie, c’est un peuple autochtone. Abraham et les patriarches n’ont pas existé. La Genèse parle à leurs sujets de dromadaires, qui n’apparaîtront que des siècles plus tard dans la région. Quand Juifs et Musulmans se disputent le « tombeau des patriarches » à Hébron (c’est là qu’un colon a assassiné une trentaine de Palestiniens), ils se battent pour un mythe. S’il y a eu à certaines périodes des Sémites en Egypte, les épisodes de Moïse et de la sortie d’Egypte sont totalement infirmés par l’archéologie. La conquête sanglante de Canaan par Josué (sur laquelle s’appuient les colons les plus fanatiques et leurs alliés fondamentalistes américains pour justifier les méthodes d’aujourd’hui contre les « forces du Mal »), est également légendaire. Ce sont les Peuples de la Mer qui ont détruit les villes Cananéennes et c’est ce qui a provoqué la migration des premiers Hébreux.
Même le royaume unifié de David et Salomon est démenti par l’archéologie. À l’époque présumée de ces deux rois, Jérusalem était un petit village et il n’y a aucune trace archéologique du « temple de Salomon » qu’on trouve dans tous les livres de 6e. Quand l’Etat d’Israël se veut le successeur de cette période mythique, il prône le retour à un passé idéalisé mais légendaire : les anciens royaumes d’Israël (au nord en Samarie) et de Juda (au sud en Judée) n’ont probablement jamais été unis et ont toujours constitué deux sociétés bien distinctes.
La Bible a été écrite en grande partie au VIIe siècle av JC dans le royaume de Juda, après la destruction du royaume d’Israël par les Assyriens. Ce texte a donné au royaume de Juda une origine « politiquement correcte » et une destinée hors du commun. Il a fondé le peuple Juif. En même temps, ce texte est très largement légendaire et est contredit presque totalement par l’archéologie. L’histoire des premiers Juifs est « merveilleuse » mais c’est une légende qui a été fétichisée par toutes les religions monothéistes. Le sionisme religieux des colons messianiques qui veut reconstituer ce passé mythique s’appuie sur des légendes.

La destruction et la dispersion.
Il y a des éléments historiques véridiques et importants dans la Bible. Elle relate une confrontation permanente entre ceux (qu’on va commencer à appeler Juifs) qui acceptent les idoles et les croyances des autres peuples et ceux qui prônent le rejet de tout syncrétisme. L’attitude vis-à-vis des peuples voisins et des autres religions a sans arrêt oscillé.
Les Juifs ont subi trois grandes destructions dans l’Antiquité. Il n’est rien resté du royaume d’Israël détruit au VIIIe siècle av JC parce que cet épisode est antérieur à la Bible. Les survivants se sont réfugiés dans le royaume de Juda ou ont été déportés mais leur société n’a pas résisté à l’exil. Un siècle et demi plus tard, les Juifs survivront en tant que peuple à la déportation à Babylone. Entre temps, la Bible leur a donné une très forte identité. Le retour de Babylone ne sera que partiel et la dispersion a commencé dès cette époque. Les Juifs qui reviennent en Palestine ne formeront jamais une société totalement indépendante des envahisseurs ou des puissances protectrices. Pendant les siècles qui précèdent la destruction du IIe temple (70 ap JC), il y a une opposition permanente entre ceux qui s’accommodent de la présence ou de l’influence étrangère et ceux qui la rejettent. L’Etat d’Israël moderne où on a ressuscité la langue religieuse (l’Hébreu) et où on essaie de figer l’identité juive n’a rien à voir avec les sociétés des périodes hellénistiques ou romaines où on parlait grec, latin ou araméen.
Ce conflit aboutit à une très grave crise quand les Romains occupent la Palestine. Ceux-ci ont pour habitude de superposer les religions locales à la religion romaine pourvu que le peuple occupé reconnaisse les institutions romaines (la République, puis l’Empire). Une partie des Juifs accepte cette « romanité ». L’écrivain Flavius Josèphe qui raconte l’histoire et la vie quotidienne de la Palestine à cette époque, est représentatif de ce courant. Mais de multiples dissidences religieuses apparaissent (le Christianisme est la plus célèbre de ces dissidences). Les « faux » messies prolifèrent. C’est une secte particulièrement intolérante, les zélotes, qui déclenche l’insurrection contre Rome. Ils s’en prennent à la fois à l’aristocratie juive accusée d’être « romanisée » et impie et à l’occupant romain. Cette insurrection s’achève avec la prise de Jérusalem, la destruction du deuxième temple et la prise de la dernière citadelle zélote à Massada. Cette forteresse qui domine la Mer Morte où l’on voit encore la trace des camps romains assiégeant la ville est un symbole aujourd’hui en Israël : celui d’un peuple opprimé résistant jusqu’à la mort, à l’image de ce qu’est Montségur pour les Cathares. La vérité historique sur Massada oblige à dire que l’expulsion des Juifs de Palestine (qui sera achevée en 135 ap JC avec la dernière insurrection de Bar Cocheba) a été réalisée par les Romains mais provoquée par des fanatiques religieux particulièrement intolérants. Souhaitons que les colons « fous de Dieu » n’aboutissent pas au même résultat 2000 ans plus tard.

La Diaspora
Il y a d’abord une vérité historique à rétablir. Les sionistes répètent pour légitimer leur projet que la présence des Juifs en Palestine est ininterrompue depuis 4000 ans. C’est un mensonge grossier. Après la défaite de Bar Cocheba, il n’y a presque plus de Juifs en Palestine, sauf pour un temps à Tibériade ou vit une communauté tolérante qui a accepté la « romanité ». Et il n’y en aura quasiment plus (en tout cas bien moins en proportion qu’en Afrique du nord, en Espagne ou en Allemagne) jusqu’à l’arrivée de Juifs Espagnols à Safed en Galilée à la fin du XVe siècle.
Ou plutôt soyons précis : ceux qui restent en Palestine ne sont plus Juifs. Ils se sont convertis à une autre religion. En grande majorité, ils deviendront musulmans, comme la plupart des peuples du Proche-Orient, à l’arrivée des conquérants arabes au VIIe siècle. Palestiniens et Juifs sont donc, les uns et les autres, partiellement les descendants des Juifs qui vivaient en Palestine, il y a 2000 ans ! C’est l’acceptation ou le refus de la « romanité » qui les a séparés.
Il existait déjà une diaspora au moment de la destruction du IIe temple. Les Juifs de Perse, d’Asie Centrale, d’Inde, du Yémen ou d’Ethiopie existaient avant la destruction du deuxième temple. Les Juifs se sont répandus dans tout l’empire romain avec des communautés importantes à Alexandrie, à Rome, en Grèce, en Espagne, en Afrique du Nord, aux confins de l’empire dans la vallée du Rhin. Les synagogues qu’on a retrouvées sur le Golan, à Gaza ou en Syrie (comme celle de Doura-Europos qui est au musée de Damas) datent de la diaspora.
La religion juive n’est pas prosélyte, mais cela n’a pas toujours été le cas. Plusieurs religions se sont retrouvées en concurrence dans l’empire romain entré en décadence : christianisme, arianisme, culte de Mithra mais aussi judaïsme. Il y a eu des conversions au judaïsme à diverses périodes en Afrique du Nord, en Espagne et plus tard au sein d’un peuple turc (les Khazars). Il y a eu de nombreux Berbères judaïsés et parmi eux la Kahina, reine tunisienne qui résista à l’invasion arabe ou Tarik, général converti à l’Islam qui fit la conquête de l’Espagne. Les Juifs d’Afrique du Nord sont partiellement descendants de ces Berbères. Toute approche du conflit actuel en Palestine au nom d’une prétendue « loi du sang » donnerait des résultats surprenants. Il n’y a bien sûr pas de « race », juive ou autre, mais le(s) peuple(s) juif(s) est largement issu d’un mélange.
Les relations entre Juifs et Chrétiens ont, d’entrée, été exécrables. Les Chrétiens ont accusé les Juifs d’être déicides et ont voulu masquer l’origine juive de leur religion. Les persécutions commencent dès que le christianisme devient religion officielle au IVe siècle. Les Juifs vont subir pendant plus d’un millénaire des expulsions et des massacres. Les tueries les plus graves ont lieu dans la vallée du Rhin au début des Croisades, en Espagne après le grand pogrom de 1391 puis en Europe orientale à partir du XVIe siècle.
La haine était sans doute réciproque : quand l’armée Perse enlève Jérusalem aux Byzantins en 614 ap JC, les généraux Juifs de cette armée participent au massacre de toute la population chrétienne. Le charnier se situe sous un grand hôtel de Jérusalem, mais il n’est pas « politiquement correct » de le visiter.
Les relations avec l’Islam ont oscillé, mais les Juifs ont dans l’ensemble été protégés par le statut des minorités.
Partout les Juifs ont vécu « en communauté ». Cet enfermement « choisi » est devenu obligatoire dans l’Europe chrétienne à partir du XIIe siècle, dans les juderias en Espagne ou dans les ghettos en Europe centrale et orientale (du nom d’un quartier de Venise). La communauté organise la vie sociale et légifère. En même temps, elle sert d’intermédiaire avec le monde extérieur.
Certains écrivains Juifs (Marek Halter, André Schwartz-Bart) ont une vision très noire de ce millénaire d’enfermement, vision venant des ressemblances entre l’inquisition espagnole et le génocide nazi. Pourtant, ce judaïsme minoritaire et « paria » aura des grands moments : en Andalousie et dans les premiers temps de l’Espagne chrétienne mais aussi en Pologne où les Rois ont fait venir les Juifs et dans l’empire Ottoman où ils ont été très bien accueillis. L’histoire des Juifs d’Afrique du Nord n’est pas non plus une histoire de persécutions.
Cette histoire n’est pas non plus monolithique. Elle est traversée par de puissants courants (la Kabbale, l’hérésie sabbatéenne …). Elle est marquée par le marranisme : de nombreux Juifs espagnols se sont convertis pour échapper à l’expulsion, mais ils seront rattrapés par l’inquisition. Beaucoup de Juifs séfarades (espagnols) ont eu des ancêtres chrétiens qui sont revenus au judaïsme quand la persécution les a rattrapés. Le marranisme a produit des personnalités célèbres : Montaigne, Spinoza …
Ce qui manque dramatiquement aujourd’hui, ce sont les traces de ce passé. Beaucoup de pays ont effacé les traces de leur passé juif (Pologne, Algérie, Irak …). Les vraies racines des Juifs d’aujourd’hui sont pourtant là-bas et pas en Israël. L’absence de traces du passé est un élément très déstabilisant de « l’identité ».

La sortie du ghetto et le sionisme
C’est le moment clé. En Allemagne, puis en France, la sortie du ghetto devient possible dès la fin du XVIIIe siècle. Le choix entre l’enfermement et l’intégration existe à présent.
Très majoritairement, les Juifs vont choisir l’intégration. Ils adhèrent aux idées des Lumières, à la république, à la laïcité, aux droits de l’homme. Le messianisme se transpose dans une forme d’universalisme et souvent en engagement révolutionnaire où le prolétariat remplace le messie. Je pense choquer en disant cela, mais cette transposition (inconsciente) a eu lieu.
En même temps, la sortie du ghetto va transformer l’antijudaïsme chrétien en antisémitisme politique. Intégration ne signifie pas « dilution » de l’identité, perte de la mémoire ou reniement. Même (et c’est souvent le cas) quand cette intégration s’accompagne d’une rupture avec la religion, les Juifs restent juifs. Mais, et c’est ce qui est insupportable aux antisémites, ils sont « différents » et « invisibles », ils représentent un obstacle à la conception de construction « ethniquement pure » des Etats modernes qui accompagne tous les nationalismes.
Le sionisme qui naît à la fin du XIXe siècle est en rupture avec cette histoire. Alors que les Juifs d’Europe orientale s’engagent massivement dans des mouvements démocratiques ou révolutionnaires, se battent farouchement pour l’intégration, la laïcité, l’égalité des droits et émigrent vers l’ouest (où l’intégration a commencé), le sionisme affirme que cette intégration n’est pas possible, que l’antisémitisme est inéluctable et que, comme les autres peuples, les Juifs doivent avoir un pays. Le sionisme puise ses sources théoriques dans les mouvements nationalistes du XIXe siècle qui affirment que « le mélange » est impossible. Ce sont pourtant ces nationalismes européens qui contribueront largement aux deux guerres mondiales et au nazisme. Le sionisme y a ajouté une composante religieuse pour justifier l’idée que l’Etat juif sera construit en Palestine. Le sionisme se nourrit de l’antisémitisme et de toutes les formes de persécution ou de discrimination contre les Juifs qui justifient a posteriori son projet. De fait, si le sionisme a tout fait pour pousser les Juifs à émigrer en Israël, il a été très largement aidé pendant tout le XXe siècle par toutes les manifestations antijuives. Il y a bien sûr toute la montée du nazisme et le génocide qui ont créé les conditions historiques pour que l’Etat d’Israël existe. Mais après la fondation de l’Etat d’Israël, le retour de l’antisémitisme dans les pays de l’Est (URSS, Pologne …) et le fait que les Juifs d’Afrique du Nord (qui avaient la nationalité française depuis le décret Crémieux) aient été assimilés aux colonisateurs, ont largement favorisé le projet sioniste de faire immigrer le maximum de Juifs en Israël.

Légitimité et illégitimité d’Israël
Les sionistes expliquent que les Juifs ont droit comme les autres à un pays. C’est à la base de toutes les théories nationalistes. Cette théorie est dangereuse. La notion de peuple est difficile à cerner. Faut-il un état Breton, Basque, Corse ? L’éclatement d’Etats multinationaux s’est parfois passé pacifiquement (Tchécoslovaquie) mais en général, il a été sanglant (Yougoslavie, Tchétchénie). Le nationalisme et l’idée « un peuple = un Etat » ne résolvent rien.
Les sionistes expliquent que les Juifs, peuple persécuté, devaient avoir un pays. Ils ont écarté d’entrée toutes les autres solutions que proposaient d’autres courants politiques (le Bund par exemple). Ils ont choisi de coloniser un pays vide de Juifs (la Palestine). Pour cela, il a fallu multiplier les mensonges : dire que la Palestine était une « terre sans peuple pour un peuple sans terre », nier le phénomène colonial, masquer l’expulsion violente de 1948.
Imaginons qu’un autre peuple particulièrement persécuté, les Tsiganes par exemple, décide d’avoir un Etat et de l’installer en Inde, pays de leurs origines ou en Roumanie. On imagine qu’un tel projet ne pourrait être que meurtrier. En fait, la question centrale, ce n’est pas de construire un pays. C’est d’obtenir l’égalité des droits et la dignité de tous.
Israël a institué « une loi de retour » qui permet à tout Juif de devenir automatiquement citoyen israélien alors que les Palestiniens expulsés de leur pays ont perdu tous leurs droits. Cette loi du retour est une horreur.
Il est vrai qu’Israël a servi de « havre de paix » pour des Juifs fuyant l’Europe après la guerre. L’histoire a déjà connu ces contradictions : ce sont des persécutés qui ont colonisé l’Amérique ou l’Afrique du Sud sans aucun respect pour les peuples locaux.
En même temps, il faut savoir que ceux qui ont émigré pour fuir les persécutions sont aujourd’hui très minoritaires dans la population israélienne.
Quoi qu’on en pense, Israël est un fait et existe depuis 55 ans. Un peuple israélien s’est créé. Il est positif que l’OLP et la plupart des mouvements palestiniens aient reconnu cet état de fait. Il est navrant qu’en retour, les dirigeants israéliens n’aient jamais reconnu l’égalité et la dignité pour le peuple palestinien et que la plupart d’entre eux imaginent au mieux une espèce de Bantoustan palestinien non-viable, sans terre, sans eau et sans unité.
Deux cinéastes sionistes, Tarnéro et Bensoussan ont fait un film assez détestable (« Décryptage ») qui est à la fois une apologie de la guerre et une ignorance voulue et assumée de « l’autre », du Palestinien, de sa souffrance et de sa détresse. Il y a pourtant dans ce film un moment important : les auteurs interrogent Ehud Barak qui dit qu’il aurait aimé qu’Arafat reconnaisse la légitimité du projet sioniste. On est au cœur du problème. Les Palestiniens ont reconnu l’Etat d’Israël, mais le processus qui a mené à leur expulsion en 1948 était illégitime. La paix passera par la reconnaissance de la Nakba et bien sûr pas par le fait de légitimer l’expulsion de 1948.

Le sionisme et l’identité juive
L’histoire des Juifs est diverse et complexe. Les sionistes voudraient clore cette histoire. Pour eux, un Juif est soit un Israélien, soit quelqu’un qui soutient Israël. C’est la pensée unique, c’est le modèle imposé.
Pourtant ce modèle aboutit à des absurdités : en septembre dernier, un groupe d’Amérindiens du Pérou convertis au judaïsme par des rabbins intégristes, a émigré directement dans une colonie de peuplement. Quel rapport entre cette immigration et le projet initial de créer un pays pour les Juifs ?
Le sionisme usurpe l’identité juive. Dans un exposé précédent, j’avais dit : « pour créer l’Israélien nouveau, il a fallu tuer le Juif ». C’est-à-dire qu’il a fallu faire disparaître les cultures et les langues de la diaspora et éradiquer les formes de pensée laïque, universaliste ou égalitaire qui s’étaient massivement propagées dans le judaïsme au cours des deux siècles précédents.
Le sionisme nie totalement les Juifs qui ont choisi de s’intégrer dans le pays où ils vivent. Il mélange sciemment Juif, sioniste, israélien, israélite. On a ainsi vu à Lyon le « gala de soutien au soldat israélien » se tenir dans une synagogue. Comment s’étonner que d’autres fassent les mêmes confusions ?
Les sionistes prétendent parler au nom de tous les Juifs. Ceux qui ne sont pas d’accord sont accusés « d’être malades » ou de « propager des stéréotypes antisémites ».
Bref, on vit une crispation dans l’histoire juive et un incontestable repli communautariste. Dominique Vidal parle de « Mal-être Juif », mais c’est plus profond. Le courant qui prône la « fermeture », à l’image des zélotes de l’époque romaine, veut imposer sa vision sectaire. Un peu comme si, deux siècles après la sortie du ghetto, les Juifs n’avaient aucun autre choix que de retourner « chez eux », dans un grand ghetto, en Israël ou dans la communauté juive organisée. Ce choix est suicidaire à l’échelle de l’histoire.

Antisémitisme et génocide
Le « mal-être » et la souffrance qui s’expriment aujourd’hui sont soigneusement entretenus. Président de l’Union des Etudiants Juifs de France, P. Klugman dresse un tableau apocalyptique des persécutions antijuives en France. En le lisant, on se croirait à la veille d’une nouvelle « nuit de cristal ». En même temps, il explique que toute forme d’antisionisme dérive inévitablement sur l’antisémitisme.
Que répondre ? Il ne faut pas se laisser intimider. La critique de la politique israélienne et celle du sionisme sont plus que légitimes. Il est totalement immoral par exemple d’essayer de bâillonner les membres des missions civiles qui viennent témoigner sur les exactions que subissent quotidiennement les Palestiniens.
En même temps, il serait fou de nier qu’il y a une certaine montée des actes antijuifs en France et qu’il existe parmi les antisionistes une petite minorité qui rejette tous les Juifs. On a vu dans les manifestations des affiches : « 95% des Juifs soutiennent Sharon et les 5% restants ne valent pas mieux ». On a vu aussi l’assimilation de l’étoile de David et de la croix gammée. Ces manifestations sont intolérables et ne doivent pas être tolérées. La très grande majorité du mouvement qui soutient la Palestine l’a parfaitement compris et s’oppose résolument à toutes ces dérives racistes. Leïla Shahid intervient publiquement très souvent avec des pacifistes israéliens ou des Français d’origine juive.
L’antisémitisme est-il différent des autres racismes ? Il y a débat sur ce point. Il a été différent quand le Juif personnifiait celui qui est à la fois très proche mais qui garde une « insupportable » différence. Cette spécificité s’est en partie estompée.
L’antisémitisme d’aujourd’hui est différent de celui qui a abouti au génocide, même s’il a repris certains thèmes « classiques » (le pouvoir, l’argent …). Il ne frappe plus des parias. Il est souvent lié au conflit du Proche-Orient. Il est favorisé par les confusions en tout genre. Confusions entretenues par le fait que le sionisme veut parler au nom de tous les Juifs ou que le drapeau israélien porte le même symbole que celui des victimes du grand massacre. La vigilance s’impose d’autant plus qu’il existe des personnalités (Garaudy, Pierre Guillaume) ou des mouvements d’extrême droite dont l’antisionisme masque mal un antisémitisme virulent.
Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias dans leur livre « Les Juifs ont-ils un avenir » parlent de post-sionisme. Autrement dit, le projet sioniste s’est essoufflé. Ce qui le fait survivre, c’est la peur. Peur de l’antisémitisme et d’une nouvelle destruction, souvenir du génocide.
Là aussi certains s’interrogent : sur « l’unicité » du génocide des Juifs par rapport aux autres génocides, sur la nécessité d’entretenir le souvenir, sur son sens.
Il y a eu de nombreux génocides dans l’histoire. Il est sûr que celui que les Nazis ont perpétré (contre les Juifs et les Tsiganes) représente une espèce de summum. Par le nombre des victimes (la moitié des Juifs européens), par les méthodes employées et par le niveau de développement de la société qui a accompli ce génocide. Il n’est pas étonnant qu’il existe quelques révisionnistes obsessionnels qui s’efforcent de nier l’ampleur du génocide ou carrément sa réalité.
Mais « l’unicité » de ce génocide ne peut avoir qu’un but : empêcher d’autres génocides, montrer à quoi peut aboutir la négation de « l’autre » et signifier au monde que « le fascisme est un mal absolu ». La fin du XXe siècle a hélas infirmé cet espoir avec les génocides du Cambodge, de Bosnie ou du Rwanda ou avec plus de 5 millions de Français votant pour Le Pen.
De nombreuses forces ont tenté d’instrumentaliser le génocide des Juifs. Souvenons-nous de l’affaire du « Carmel d’Auschwitz » où l’Eglise Catholique tentait de transformer ce camp en symbole chrétien.
Le génocide est lié à l’identité juive. Je fais partie d’une génération qui « a grandi dedans », avec en permanence le souvenir des disparus ou des rescapés. Et ce souvenir est synonyme de névrose, de peur et d’obsessions.
Mais le génocide est aujourd’hui instrumentalisé. L’Etat d’Israël n’a aucune légitimité à « l’annexer ». Il a d’ailleurs superbement ignoré les protagonistes de cette histoire jusqu’aux années 60. Les victimes des camps, qui seraient entrées dans les chambres à gaz sans se révolter étaient opposées à l’image de l’Israélien combattant. Aujourd’hui le souvenir sert à alimenter la peur. Dans l’imaginaire, Arafat est un nouvel Hitler qui veut jeter les Juifs à la mer. Un tel « souvenir » est assez lamentable.
En même temps, il est faux d’essayer de comparer ce que subit aujourd’hui le peuple palestinien avec le génocide. Cela n’a bien sûr rien à voir.

Cet exposé a eu pour but de donner une approche rationnelle à la guerre actuelle. Avec mes camarades de l’UJFP, nous essayons de montrer qu’il existe une « autre voie juive », une approche non communautariste de ce conflit. Pour avancer vers la paix, il est nécessaire de comprendre les mécanismes qui alimentent la guerre, en particulier ceux qui ont trait à la crise de l’identité juive.

Pierre Stambul

Pierre Stambul est professeur de mathématiques à Marseille et Militant de l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix).

Partagez: