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« On se prépare pour la prochaine incursion », par Amira Hass

Un cri d’alarme et de dégoût de la journaliste israélienne.


« La direction de l’hôpital de Beit Hanoun a décidé de creuser un puits dans son enceinte. Samedi passé déjà, ouvriers et bulldozers entamaient le chantier. C’est ainsi que l’hôpital s’organise en prévision de la prochaine incursion de l’armée israélienne.

Comme tout Beit Hanoun, l’hôpital a souffert de graves ruptures dans l’approvisionnement en eau, à cause de l’offensive militaire qui a pris la ville et ses 43.000 habitants pour cible pendant une semaine. Au cours de la troisième nuit d’incursion, l’armée a évacué de chez eux environs 300 personnes vivant dans un quartier où elle s’apprêtait à faire sauter un immeuble. Toutes ces personnes se sont rendues à l’hôpital et se sont ajoutées aux nombreux blessés qui s’y trouvaient déjà. Des soldats ont aussi envoyé dans ce petit hôpital des femmes et leurs enfants sortis dans la rue dans la matinée de vendredi. Des centaines de personnes éreintées et apeurées par deux jours sans sommeil, par les tirs incessants de l’armée israélienne depuis les positions établies dans des maisons qu’elle occupait, par le bruit des explosions, le grondement des dizaines de chars et de véhicules blindés qui avançaient dans les rues en labourant la chaussée, en renversant les poteaux électriques, en faisant sauter les canalisations d’eau et d’égouts, et en démolissant des clôtures et des murs.

En temps normal, l’hôpital a besoin de 50.000 litres d’eau par jour. Pendant toute la semaine qu’a duré l’incursion, seuls 15.000 litres sont parvenus à l’hôpital. Des enfants pleuraient parce qu’ils avaient soif et leurs parents ne savaient pas quoi faire pour les soulager. Même dans le quartier de la famille Athamneh que des soldats de l’armée israélienne ont bombardé d’une salve d’obus meurtriers, c’est avec frayeur qu’on évoque la soif terrible.

D’autres leçons encore ont été retenues. La morgue dispose d’un réfrigérateur avec de la place pour trois corps. On a ajouté un réfrigérateur avec de la place pour six corps. L’hôpital va également faire l’acquisition d’une citerne à gas-oil qui sera enfoui sous terre. La semaine passée, la partie occidentale de l’hôpital a été touchée par des tirs ; c’est là un précédent qui a enseigné que dorénavant, il fallait mettre les matières inflammables hors d’atteinte des balles de l’armée israélienne. L’hôpital a aussi demandé un budget pour des ambulances à traction avant, parce que les ambulances normales ont beaucoup de mal à se déplacer dans les rues dévastées par les chars.

L’hypothèse qui est faite, c’est que l’armée israélienne continuera d’envahir, de détruire, de porter atteinte aux infrastructures – délibérément ou parce que c’est dans la nature des chars – de saboter l’approvisionnement en eau et en électricité, et de tirer sur des institutions civiles. L’armée ne changera pas et personne ne la freinera. Il faut donc se préparer en conséquence.

Mais comment se préparer à la coordination lourde, et prolongée dans le temps – jusqu’à mettre la vie en danger -, liée à l’évacuation de blessés et de malades ? Le docteur Jamil Suleiman, directeur de l’hôpital, parle d’un homme d’une cinquantaine d’années qui avait eu une crise cardiaque. L’équipe médicale a attendu environ deux heures l’autorisation des autorités militaires pour pouvoir se rendre auprès de lui. L’homme est mort. Dans le cas d’une femme qui était sur le point d’accoucher, la coordination a nécessité cinq heures et au bout du compte, la femme a accouché dans l’ambulance. Le transport en ambulance, de chez lui jusqu’à l’hôpital, d’un homme blessé à la jambe a duré dix heures. A chaque coin de rue, l’ambulance se heurtait à des chars qui la retardaient.

« Opération de l’armée israélienne » : cette formule, stérile et mensongère, en usage dans les médias israéliens, cache ici, comme pour les autres offensives et incursions appelées « opérations » de ces six dernières années, des milliers de détails de tueries, de destructions, de terreur, enfantées par la machine de guerre israélienne et par les commandants et les soldats qui la mettent en branle.

C’est ainsi qu’a disparu Bara Fiad, âgé de quatre ans. Des soldats ont fait irruption, en faisant sauter un mur, à l’intérieur de la maison de la famille Fiad, faite de terre, de mortier et d’asbeste. Cette pauvre maison a été fortement endommagée, ainsi que son contenu, par l’explosion. Dans tout Beit Hanoun, les enfants paniqués ont commencé à rester collés à leurs parents partout où ils allaient. Bara et ses frères étaient agrippés à leurs parents, au petit matin, vendredi, quand ceux-ci sont sortis se laver les mains pour la prière, dans un bassin qui se trouve dans la cour. Un missile tiré depuis un hélicoptère ou un avion sans pilote – les voisins ne savent pas – a frappé la cour, y creusant un trou énorme. Bara a été tué.

Disparus, eux aussi, Abou Bassem, 52 ans, et ses deux fils : tous trois ont été blessés par un missile israélien qui a atterri sur leur maison. Abou Bassem a de nouveau été blessé, à la jambe, par la balle d’un tireur d’élite, alors que, résidant chez des proches qui l’hébergeaient depuis sa première blessure, il se rendait aux toilettes qui se trouvent dans le jardin. Quatre civils au moins ont été blessés à deux reprises par les tirs de soldats. Ils ont disparus de l’information du public israélien, comme a disparu Mazen Kafarneh, un parmi les milliers d’hommes qu’on a fait sortir de chez eux, arrêtés, rassemblés, brièvement interrogés puis libérés. Mazen a été relâché au barrage d’Erez et est rentré chez lui à pied. C’était l’heure du couvre-feu et des soldats l’ont abattu. Ont de même disparu 25 maisons qui ont été complètement détruites, plus encore 400 autres qui ont été endommagées, au point, pour une partie d’entre elles, qu’il ne reste pas d’autre choix que de les raser. Au bilan, un dixième des 4.500 immeubles d’habitation de la ville ont été endommagés. La ville de Beit Hanoun évalue les dégâts à environ 14,5 millions de dollars, à ajouter aux quelque 6 millions de dollars de dégâts entraînés par l’offensive de juillet.

Le manque de volonté de savoir du public israélien est renforcé et complété par le « manque de place » dans les médias et par la hiérarchie éditoriale qui omet une information essentielle sur l’armée israélienne et, en réalité, sur la société israélienne – une société qui produit sans arrêt des moyens de destruction et qui envoie sa jeunesse de vingt ans détruire des vies, des villes, un avenir.

Amira Hass
Haaretz, 15 novembre 2006

www.haaretz.co.il/hasite/spages/788187.html
Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/788016.html

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

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