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David Kretzmer : « la route 443, un exemple d’hypocrisie juridique »

« Comment, dans les Territoires, une route déclarée construite pour le bien de la population locale est-elle devenue une route sur laquelle il lui est interdit de circuler ? Le cas de la route 443 est exemplaire de la « logique » de l’hypocrisie juridique qui caractérise le pouvoir israélien dans les Territoires depuis des années. ». Lire ci-dessous l’article de Dadid Kretzmer, traduit par Michel Ghys.


« Ce que la Cour suprême a avalé

Depuis le jour de l’entrée des forces de l’armée israélienne dans les Territoires, les autorités appuient de nombreuses opérations réalisées là-bas – comme la saisie de terres, le fait de décréter des sols terres d’Etat ou les restrictions sévères imposées aux déplacements – sur le pouvoir d’un commandement militaire en territoire occupé. La Cour suprême a établi, et établi des dizaines de fois, que le cadre juridique en vigueur dans les Territoires était celui d’une occupation ou occupatio bellica. Dans ce cadre juridique, le commandement militaire est censé baser ses décisions sur deux considérations exclusivement : les nécessités militaires et le bien de la population locale.

Comme l’a établi la Cour suprême, dans ce qui constitue un précédent instructif : « Les considérations du commandement militaire portent sur la manière de garantir ses propres intérêts sécuritaires dans la région, d’une part, et de garantir les intérêts de la population civile dans la région, d’autre part… Le commandement militaire n’est pas autorisé à prendre en considération les intérêts nationaux, économiques et sociaux de son propre Etat, pour autant que ceux-ci n’ont pas de répercussions sur ses propres intérêts sécuritaires dans la région ou sur les intérêts de la population locale. Et même les besoins de l’armée, ce sont ses besoins militaires et non pas les besoins de la sécurité nationale au sens large… Une zone d’occupatio bellica n’est pas un champ ouvert à l’exploitation économique ou autre. »

Tous ceux qui ont les yeux en face des trous savent qu’il n’y a, entre ces propos et la manière dont les autorités se comportent dans les faits, aucun rapport. Du fait des limitations du cadre juridique de la Cour suprême (dans lequel on s’appuie sur les déclarations sous serment des parties et sans examen de témoins), et peut-être à cause d’une certaine propension à fermer les yeux, il n’y a que dans de rares cas que se trouve exposé au tribunal le fossé qui sépare le cadre annoncé et la réalité sur le terrain. Dans l’affaire d’Alon Moreh, ce fossé a été mis à nu quand il est apparu au tribunal que, contrairement à ce qui lui avait été présenté dans la déclaration sous serment originale du chef d’état-major, l’objectif pour lequel on s’emparait de terres privées – sur lesquelles on demandait à établir la localité – n’était pas militaire mais politique. Il en fut de même dans un cas qui touchait à la clôture de séparation, lorsqu’il fut prouvé que, contrairement à la déclaration sous serment introduite lors d’une requête antérieure, le tracé de la clôture, sur un certain tronçon, n’avait pas été fixé sur base de considérations sécuritaires mais pour se conformer à un projet, non encore approuvé, d’expansion d’une localité juive dans la région.

Il n’y a pas de meilleur exemple de la méthode selon laquelle les arguments sont adaptés au cadre juridique formel – qui mérite le titre d’ « hypocrisie juridique » – que le cas de la route 443. Pour les besoins de la construction d’une partie de cette route, qui relie Jérusalem à l’échangeur de Ben Shemen, des terres palestiniennes privées ont été expropriées. Les autorités savaient qu’elles ne pourraient pas défendre cette expropriation si elles annonçaient que la route était construite comme partie intégrante d’un projet routier d’Israël même. Alors, quand les propriétaires des terres se sont adressés à la Cour suprême, les autorités ont introduit une déclaration sous serment disant que le réseau routier existant était obsolète et que la population palestinienne des Territoires – Ramallah, Bir-Naballah, Judeira, Nabi-Samuel, Bei Iksa, Beit Hanina, Biddu, Rafat et Bethléem étaient cités dans le document – avait besoin de nouvelles routes. La route projetée venant répondre à ce besoin.

La Cour suprême a gobé l’argument et en est arrivée à la conclusion que « nous n’avons aucun doute ni hésitation quant au fait que les considérations d’Israël et ses besoins civils n’étaient pas à la base du projet routier en cours de réalisation ».

Les années ont passé et la situation sécuritaire a changé. Les officiers de l’armée sont arrivés à la conclusion qu’il n’y avait pas à autoriser à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens de circuler sur la route. A la lumière de la déclaration sous serment que l’on avait présentée à la Cour suprême, et de la décision de justice prise par la Cour elle-même, il est évident que la conclusion qui s’impose, avec les désagréments qui l’accompagnent, c’est qu’il ne faut pas permettre aux Israéliens de circuler sur cette route qui a été construite, rappelons-le, pour le bien de la population locale. Le commandement militaire en a bien sûr décidé autrement : les Israéliens ont été autorisés à circuler sur cette route, tandis que les Palestiniens, pour qui elle a été construite – c’est ce qu’avait établi la Cour suprême – ne sont pas autorisés à y circuler. Et à cette fin, l’accès à la route à partir des villages de la région sera lui aussi barré.

Mais il y a une difficulté. Cette fois encore, il y a la Cour suprême et il faut revenir sur l’exercice de « l’hypocrisie juridique ». Non pas que nous prétendrons – le ciel nous en préserve – que l’on a menti lorsqu’on a déclaré, en son temps, que l’objectif principal du projet de construction de la route était de servir la population locale, mais on s’appuie sur cette note [de la Cour] que le projet routier « servira non seulement les habitants de la région mais aussi les habitants d’Israël, et au trafic entre la Judée-Samarie [Cisjordanie] et Israël ». Il est écrit « aussi », pas « seulement ».

Un jour, quand s’écrira l’histoire de l’occupation, la route 443 constituera un symbole et un exemple. Pas seulement de la manière dont le pouvoir d’occupation aura maltraité, dans sa vie, le simple civil palestinien, qui demande à pouvoir jouir de la liberté de mouvement et d’autres droits que nous tenons pour évidents, mais aussi de l’hypocrisie qui accompagne ce pouvoir depuis son instauration. »

David Kretzmer

Haaretz, mardi 22 janvier 2008 www.haaretz.co.il/hasite/spages/947038.html
Version anglaise : Tyranny in tar – www.haaretz.com/hasen/spages/948033.html

* L’auteur enseigne le droit constitutionnel et le droit international à l’Université Hébraïque et à l’Ecole de Droit de Ramat Gan

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

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