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En librairie : « François Mitterrand et la guerre d’Algérie »

L’historien Benjamin Stora, en collaboration avec le journaliste François Malye, propose un nouvel ouvrage sur la guerre d’Algérie, centré cette fois sur le rôle qu’y joua François Mitterrand.


Les générations les plus jeunes l’ignorent souvent, mais François Mitterrand, avant d’être le Président de la République française de 1981 à 1995, avait été trente ans plus tôt l’un des dirigeants politiques français les plus compromis dans la sale guerre menée contre le peuple algérien, dans ses aspects les plus criminels.

Lorsque la lutte pour l’indépendance de l’Algérie éclate, en novembre 1954, François Mitterrand est jeune -il a tout juste 38 ans-, mais c’est déjà un homme politique de premier plan, membre de la plupart des gouvernements de la IVème République depuis 1947, à la tête d’un petit parti classé au centre-droit, l’UDSR.

La révolte algérienne le trouve justement ministre de l’Intérieur, c’est-à-dire au premier rang pour conduire la répression, puisque « l’Algérie, c’est la France », et qu’on ne saurait y mener autre chose que des « opérations de police », avant d’enchaîner comme ministre de la Justice dans le tristement célèbre gouvernement du « socialiste » Guy Mollet pendant 500 jours, de janvier 1956 à mai 1957.

Stora et Malye, qui ne prétendent pas être à proprement des défricheurs, car une partie des crimes du gouvernement et de l’armée français avaient été rendus publics dès l’époque, et donné lieu ensuite à une série d’ouvrages, ont plus particulièrement enquêté sur deux des aspects les plus affreux de l’action du gouvernement colonial : la guillotine et la torture.

Et c’est là que cela fait mal. Car avant d’attacher son nom à celui de l’abolition de la peine de mort en France (votée en 1981 très peu de temps après l’élection présidentielle), François Mitterrand en fut un ordonnateur déterminé.

De fait, si la France coloniale répondit dès novembre 1954 à l’insurrection par une violence inouïe dans les campagnes (napalm, viols, exécutions sommaires de prisonniers ou de « suspects », etc), comme elle l’avait fait 10 ans plus tôt à Sétif et à Guelma, elle éprouva la nécessité, au bout de quelques mois, de donner un aspect pseudo-légal à la répression, avec l’application de la peine de mort aux combattants, principalement FLN.

Comme la justice ordinaire est jugée trop lente, on développe les tribunaux militaires, qui offrent à la défense à peu près autant de garanties que les tribunaux nazis ou ceux de l’Espagne franquiste, et délivrent des condamnations à mort sans le moindre dossier ni instruction : les prisons françaises de métropole et d’Algérie compteront pas moins de 800 condamnés à mort lorsque se constitue le gouvernement Mollet, en janvier 1956.

Mais c’est ce gouvernement-là qui va faire marcher la guillotine, et la responsabilité du ministre de la Justice dans les processus de prise de décision, autrement dit accorder la grâce présidentielle à un prisonnier ou bien lui couper la tête, est écrasante.

Stora et Malye, qui ont interrogé des témoins de l’époque encore vivants, parviennent ainsi à la conclusion qu’au sein des décideurs gouvernementaux, Mitterrand fut probablement le plus chaud partisan de ce supplice moyenâgeux, en contravention totale avec les lois de la guerre.

Quant à la torture, que le gouvernement civil autorisa l’armée (les Massu, Bigeard et autres Aussaresses) à utiliser de manière systématique, François Mitterrand était bien entendu au courant, et ne fit strictement rien pour s’y opposer. Deux ministres de Mollet (Pierre Mendès-France, Alain Savary) eurent la dignité minimale de démissionner en signe de désaccord avec la torture : pas Mitterrand.

Enfin, les auteurs nous rappellent les raisons de l’occultation du passé de François Mitterrand, une fois celui-ci devenu Président de la République. Ni les partis de droite -co-producteurs de la sale guerre avec la gauche, ni bien sûr le Parti Socialiste, ni même le Parti Communiste, qui avait voté en 1956 en faveur de Guy Mollet pour faire la guerre, n’y avaient le moindre intérêt.

( François Malye, Benjamin Stora, « François Mitterrand et la guerre d’Algérie »300 pages, 18 €)

CAPJPO-EuroPalestine