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Procès des 3 militants BDS à Berlin le 3 août prochain : Mobilisation pour faire éclater la vérité

Dans de nombreux pays, l’indignation s’exprime à propos des poursuites engagées contre les militants BDS qui ont interrompu une criminelle de guerre israélienne venue donner une conférence à l’université Humboldt de Bertlin en 2017.

Stavit Sinai et Ronnie Barkan, deux opposants juif israéliens ont bien voulu répondre à nos questions sur le procès du 3 août prochain, sur les raisons de leur acte, et sur la situation en Allemagne, où le chantage à l’antisémitisme est particulièrement pregnant.

Procès des 3 militants BDS à Berlin le 3 août prochain : Mobilisation pour faire éclater la vérité

Stavit Sinai, a un doctorat de sociologie et est maître de conférences à Berlin. Elle est l’auteur de « Sociological Knowledge and Collective Identity » . Elle nous explique avoir quitté Israël en 2010 quand « il est devenu clair pour moi que je ne pouvais plus vivre dans une société de plus en plus raciste, en tant qu’antisioniste et dissidente ayant réussi à échapper au service militaire, mais obligée de participer aux crimes collectifs »

Ronnie Barkan est cofondateur du collectif israélien Boycott From Within (Boycott depuis l’intérieur) et a mené de nombreuses actions de boycott en Israël, comme en Allemagne où il vit désormais.

Europalestine : Y a-t-il eu d’autres procès BDS en Allemagne avant le vôtre ?
Stavit : Pas d’une telle ampleur ni sous cette forme. Un  « crime sans victime », où des personnes rappelant le droit international sont traduites devant un tribunal pénal, cela ne s’est jamais vu. Il y a eu des événements en 2019 où les autorités oppressives allemandes ont abusé du pouvoir de l’État dans le cas de Rasmea Odeh et Khaled Barakat, deux Palestiniens dont les droits civils et constitutionnels ont été complètement violés.

Ronnie: Il y a eu des cas de personnes qualifiées d’antisémites en raison de leurs actions BDS, ce qui a conduit à défier ceux qui ont tenté de les sanctionner. Mais je n’ai pas connaissance de procès BDS intentés par l’État allemand. Et même dans notre cas, nous avons eu du mal à faire reconnaître le caractère politique de notre action, puisque l’accusation visait uniquement des soi-disant violences de notre part en nous accusant d’ »intrusion » et d‘«agression».

Europalestine : y a-t-il en Allemagne une législation réprimant le boycott d’Israel ?
Stavit :  En mai 2019, le Bundestag a adopté un projet de loi non contraignant déclarant que le BDS est antisémite. Tous les partis politiques, y compris le parti dit de gauche « Die LINKE » , ont participé à cette honteuse attaque parlementaire contre un mouvement civil non violent pour protéger Israël de ce qu’il craint le plus – la critique et la révélation de ses crimes. En tant qu’ancienne Israélienne privilégiée, je ressens le besoin d’utiliser mes privilèges pour faire ce que je fais.
Ronnie : Il n’y a pas de législation, mais cette récente résolution du Bundestag qui assimile le BDS à l’antisémitisme, est déjà utilisée par les groupes sionistes, des maires, etc. comme argument pour sanctionner les militants du BDS. Mais Il y a actuellement un nouvel appel contre cette résolution du Bundestag en cours.

Europalestine : Quel risque encourez-vous avec ce procès ?
Stavit : Pas plus qu’une amende de 800 euros pour chacun d’entre nous, je suppose. Mais personnellement, je refuserai de les payer, et je préfère aller en prison, si c’est le cas. J’afficherai ainsi mon refus de me plier aux ordres des autorités allemandes oppressives. J’espère que nous n’en arriverons pas là et que nous gagnerons (même les témoins de la partie civile ont réfuté les accusations portées contre nous), et sinon, nous ferons appel.
Ronnie : Même s’il s’agit d’accusations « criminelles », elles restent minimes. Lorsque la juge a été informée, lors de notre 2ème audience (11 mars 2019) du fait que Majed Abusalama, le 3ème inculpé, avait des problèmes avec les autorités pour régler son statut (il était censé obtenir la résidence permanente), elle a dit qu’elle allait écrire une lettre aux autorités pour intervenir en sa faveur. Donc dans le pire des cas nous risquons en effet  une amende d’environ 800 € chacun. Mais nous ne nous excuserons pas.  Je suis fier d’être traîné devant un tribunal pour une telle action. Et j’ai déclaré au juge qu’aucun verdict ne m’empêcherait de m’opposer à nouveau à l’apartheid israélien. Ce sera le legs que je laisserai et, désormais, le tribunal doit décider quel sera le sien : s’opposer aux crimes contre l’humanité ou bien regarder ailleurs. Ces poursuites nous donnent l’occasion de nous exprimer sur des questions à propos desquelles, on impose d’habitude le silence.

EuroPalestine : Avez-vous des témoins ?
Stavit : Nous allons faire citer la députée Aliza Lavie, la « victime »  que nous avons apostrophée, pour qu’elle dise comment les choses se sont réellement passées durant sa conférence à l’université Humboldt en juin 2017, et pour qu’elle reconnaisse ses crimes à Gaza pendant l’été  2014. Nous ferons peut-être venir à la barre des experts comme le Professeur Richard Falk et Virginia Tilley, co-auteurs d’un rapport de l’ONU, qui explique qu’Israël a commis des crimes d’apartheid dès 1948 et pas seulement avec l’occupation des territoires palestiniens en 1967. Nous voulons qu’il soit clairement affirmé que le fait de s’opposer aux représentants de l’apartheid est une obligation légale et morale.
Ronnie : Ces deux auteurs du rapport de l’ONU sur l’apartheid israélien nous ont soutenus et le professeur Richard Falk est venu à Berlin, où il a déclaré que nos actions devaient être perçues comme des actes de patriotisme allemand, en ce sens qu’ils libéraient l’Allemagne de son propre passé Il a déclaré que si nous voulions nous débarrasser de l’antisémitisme, nous devions commencer par prendre la criminalité au sérieux partout où elle se manifestait.

Europalestine : Y a-t-il des actions BDS en Allemagne, en dehors des vôtres, car vous n’en n’êtes pas à votre coup d’essai ?

Stavit: Cela dépend de la façon dont vous définissez une action BDS. Il y a des campagnes et des actions locales (par exemple, à Oldenburg), mais malheureusement, la communauté politique de Berlin est soumise à l’atmosphère oppressive dirigée par le lobby sioniste et les cercles anti-Deutsch (pseudo-gauche délirante et réactionnaire allemande qui soutiennent Israël à tout prix) et résulte d’une politique identitaire. Certains prétendent qu’il faut tenter d’améliorer la vie des Palestiniens de la diaspora au lieu de proposer une autre politique ou une résistance – comme nous essayons de le faire.

Ronnie : Nous avons nous-mêmes mené toute une série d’actions, dont celles à l’extérieur et l’intérieur du festival du film israélien (Seret festival), les défilés du 1er mai où nous brandissons d’immenses lettres B D S. Il y a aussi les campagnes en cours contre PUMA et AXA.

Voici un aperçu de nos interventions :

https://medium.com/humboldt3/from-repression-to-resistance-47aeeaa787ea?source=friends_link&sk=7cfac1cf96926ec498c99892418a321c

https://medium.com/@ronniebarkan/disrupting-apartheid-representative-shalicar-in-germany-6eed86bc4d60?source=friends_link&sk=9fea5c27c6a7243ed7ffd89a835808cf

https://medium.com/@ronniebarkan/german-police-assaults-3-jews-in-berlin-israeltag-2019-f9a451fc463f?source=friends_link&sk=d2d111db8a62db2646290aed737567ae

https://medium.com/@funfkant/pulling-back-the-curtain-on-apartheid-b37d2b7da482

https://www.facebook.com/watch/BDSBarkan/1397078540445245/

EuroPalestine : Est-ce que le mouvement BDS fait débat dans les universités allemandes ?

Stavit : Il s’agit en effet d’un sujet de discussion brûlant, bien que la confusion soit constamment présente entre judaïsme et sionisme, alors qu’il n’y a pas deux notions plus antithétiques. Bien qu’Israël ne soit pas un « État juif », mais un État sioniste ethnique suprémaciste, son récit colonial-colonisateur est pleinement accepté et considéré comme sacré dans une Allemagne qui pense effacer ainsi son passé nazi. Les universitaires progressistes hésitent à aborder le sujet de peur d’être censurés ou de perdre des opportunités de carrière.

EuroPalestine : Comment se manifeste l’influence du lobby israélien en Allemagne ?

Stavit: Au-delà de l’écrasement de la dissidence et de la critique silencieuse d’Israël parmi toutes les communautés, nous assistons à quelque chose de pire au sein de la communauté politique: au lieu d’intensifier la lutte, nous rencontrons une politique identitaire réactionnaire qui centre l’identité culturelle au lieu d’une politique de résistance animée par des impératifs moraux visant à s’opposer aux crimes contre l’humanité. Je conçois mon rôle de dissidente israélienne comme la nécessité de démasquer tous les groupes de normalisation et de dénoncer les sionistes, en particulier les sionistes libéraux que l’Occident aime tant soutenir.

Ronnie : En Allemagne, le lobby israélien a tout l’État en poche . Il est même courant que, de temps en temps, les gens ordinaires deviennent agressifs verbalement, s’ils se rendent compte que vous êtes trop critique envers Israël. Un peu comme ce à quoi nous assistons dans la rue en Israël contre les Palestiniens, sachant que les Allemands sont toujours plus réservés et moins expressifs que les Israéliens.

Je ne peux pas parler précisément des collaborations sur le plan de la police, mais nous connaissons tous l’affaire des sous-marins. L’Allemagne loue aussi des drones israéliens (qui peuvent également être armés, mais le bail ne comprend pas cette « fonctionnalité »), etc. 

Facebook a par ailleurs un bureau à Berlin où les employés israéliens sont chargés de la censure ! Un certain nombre de vidéos où l’on voit la police allemande me brutaliser ont ainsi été supprimées par Facebook.

Nous avons subi une campagne concertée de diffamation dans les médias allemands et israéliens. Concernant notre intervention à l’université Humboldt, par exemple, les premiers compte-rendus avaient prétendu que 20 activistes BDS avaient agressé un survivant de l’Holocauste. Et bien que la vidéo démentant ces mensonges ait circulé, cela resta le discours monté en épingle par la propagande sioniste jusqu’à ce jour. 

Dans l’Allemagne post-nazie, il existe la notion de raison d’Etat, qui est au-dessus de toute loi, disant que la légitimité même de l’Etat allemand réside dans la protection de l’existence de l’Etat d’Israël, quoi qu’il advienne. Et ceci est très problématique, puisqu’Israël a été créé comme un Etat racial, sur la base de l’épuration ethnique et de la ségrégation ethnique. Il applique une différenciation de nature ethnique entre ce qu’il perçoit comme les ubermenschen et les untermenschen, entre les surhommes et les sous-hommes. Le soutien inconditionnel de l’Allemagne à Israël prouve simplement qu’elle n’a absolument rien appris de son sombre passé. Si cela avait été le cas, elle serait aux avant-postes pour s’opposer à l’apartheid et à tout autre Etat racial qui repose sur une différenciation entre des gens, en s’appuyant sur des caractéristiques ethnico-raciales.

Ne pas minimiser le crime d’apartheid

Ronnie et Stavit tiennent à souligner le caractère d’apartheid de l’Etat d’Israel, qui est trop souvent passé sous silence, et qui constitue un crime contre l’humanité.

Ainsi Ronnie Barlan explique dans une interview à la journaliste slovène Kristina Božič (traduit par  le site belge Charleroi Pour la Palestine) :

« Il importe de comprendre qu’il n’y a pas de conflit israélo-palestinien. Il n’y a pas de conflit. Ce qu’il y a, c’est un système criminel d’oppression et de terreur imposé par un groupe ethnique à tous les autres qui se trouvent sur son chemin. Ce système doit être aboli. L’apartheid est visible partout et Hébron est souvent proposé comme exemple où, sur un même territoire, il existe deux systèmes juridiques différents pour deux groupes différents de personnes.

Colon à Hébron

Mais l’infrastructure juridique de l’Etat d’Israël a été construite dès sa fondation, afin de pratiquer l’apartheid aussi parmi les citoyens. Un système juridique à deux articulations a été mis en place, et il s’appuie sur la différenciation juridique entre la nationalité et la citoyenneté. A première vue, Israël accorde les mêmes droits à tous ses citoyens, mais les droits de citoyenneté signifient très peu de chose, puisque l’Etat n’accorde les droits et privilèges précieux qu’aux gens appartenant à l’ethnicité choisie, et qui sont juridiquement définis comme détenteurs de la nationalité juive. L’Etat d’Israël ne reconnaît pas sa propre nationalité, puisque reconnaître une nationalité israélienne s’appliquerait à tous ses citoyens et cela présenterait une base pour l’égalité, ce qui pourrait signifier la fin de l’apartheid. Et il y a deux ans, la Loi de l’Etat-nation juif a été adoptée avec succès comme loi fondamentale, venant institutionnaliser cet état de fait.

Quand il commente l’apartheid à l’intérieur de ce qui est considéré comme Israël, le rapport de l’ONU cite l’exemple de la loi électorale, qui s’intitule « Loi fondamentale : la Knesset ». Selon cette loi, une personne ne peut se présenter aux élections si elle rejette le caractère ethno-suprémaciste (juif) de l’Etat. Les Palestiniens qui sont citoyens d’Israël peuvent en effet participer aux élections israéliennes, mais la loi leur interdit de vouloir transformer le pays en démocratie.

Le rapport de l’ONU dit que cela équivaut à un système dans lequel les esclaves ont le droit de voter, mais pas contre l’esclavage.  

Il y a des similitudes entre les régimes d’apartheid sud-africain et israélien, mais il y a également des parallèles à faire avec l’histoire américaine de l’esclavage, son génocide des peuples autochtones et tout particulièrement la suprématie blanche qui a connu sa naissance là-bas, et qui est toujours bien vivante et active. En comparaison, l’Etat d’Israël a été bien plus malin en dissimulant sa véritable nature, en rendant son apartheid plus sophistiqué que celui de l’ancien régime d’apartheid de l’Afrique du Sud. »

NE PAS SE LAISSER IMPRESSIONNER ET MANIPULER

« Quand on nous accuse  d’antisémitisme ou d’autres espèces d’absurdités grotesques, nous devons les réfuter et nous concentrer sur ce qui constitue réellement le principal problème. S’attacher à la réalité et non aux mots, aux discours. On peut prendre l’exemple de Barack Obama, dont l’héritage monstrueux comprend la plus grande persécution de lanceurs d’alerte, et une promotion sans précédent de la torture et des exécutions extrajudiciaires, mais que, jusqu’à ce jour, la plupart des gens perçoivent comme un humaniste….

ET POURTANT BDS PROSPÈRE

« Avec les hommes politiques que nous entendons le plus, les Jair Bolsonaro, Viktor Orban, Donald Trump et autres Benjamin Netanyahou, nous assistons à la mondialisation d’un discours raciste et même fasciste. Toutefois, c’est aussi une opportunité pour la mondialisation des voix antiracistes et antifascistes. Nous n’en sommes pas encore là, mais nous avons nos chances. La pression monte, et elle vient surtout des citoyens ordinaires. En Norvège, la plus importante confédération syndicale, la LO, qui compte près d’un million de membres dans un pays d’à peine cinq millions d’habitants, a voté son soutien à un boycott complet et à des sanctions contre Israël.

C’est impressionnant. Le mouvement BDS est soutenu par les populations autochtones et les opprimés du monde entier, y compris Black Lives Matter. Il existe de nombreuses organisations de masse qui s’expriment à propos des crimes d’Israël. Ce sont de bonnes raisons de faire preuve d’optimisme.  Le mouvement BDS est aujourd’hui devenu un mouvement mondial de conscientisation, semblable à Black Lives Matter dans sa lutte pour l’égalité, la liberté et la justice, qui va bien au-delà de la terre de Palestine.

C’est beau. Nous faisons partie d’un combat mondial pour les droits humains et la pleine égalité au niveau global. C’est tout simplement la chose à faire si vous vous considérez comme un antiraciste et que vous êtes opposé à la suprématie blanche ou ethnique. »

Propos recueillis auprès de Stavit SINAI et Ronnie BARKAN

CAPJPO-EuroPalestine