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A LIRE : LE DERNIER ARTICLE D’URI AVNERY, SUR SHARON, LES ELECTIONS, LA CORRUPTION

12 janvier – Le responsable pacifiste israélien Uri Avnery résume, dans un article intitulé « A quoi servent les amis ? », les déboires les plus récents d’Ariel Sharon, et la corruption règnante au sein du principal parti gouvernemental israélien, le Likoud (traduit de l’anglais par RM/SW, pour la liste « Assawra »)


A QUOI SERVENT LES AMIS ?
Uri Avnery
11 janvier 2003
La campagne électorale de Sharon a commencé comme la marche triomphale d’un empereur romain rentrant d’une bataille victorieuse. L’empereur se tenait debout sur son char, savourant les clameurs de la foule, tandis que les esclaves enchaînés (les dirigeants du parti travailliste) traînaient les pieds derrière.
Mais la marche s’est embourbée. Et à chaque pas, elle était de plus en plus pénible.
Cela a commencé avec les élections primaires au Likoud. Elles ont été menées sur une base purement affairiste. Etant donné que les sondages donnaient au Likoud un tiers des 120 sièges de la Knesset, cela valait la peine d’investir de l’argent. Les politiciens ont payé des personnes pour aller acheter des voix, certaines d’entre elles étant des criminels connus ; elles ont réussi à trouver plus de 100.000 « nouveaux membres ». Ceux-ci ont renfloué le comité central comprenant 3.000 membres. Les membres du comité nouvellement élus ont vendu leurs voix aux plus offrants parmi les différents candidats du Likoud à la Knesset. Pur et simple business.
Tout ceci se serait passé sans problème, si la connexion directe entre certains des candidats et le crime organisé n’avait pas été découverte. Un scandale a éclaté, la police a été contrainte d’ouvrir une enquête.
Dans tout le tumulte sur le rôle du crime organisé au sein du parti au pouvoir, un phénomène beaucoup plus grave a été ignoré : parmi les candidats prêts à entrer à la nouvelle Knesset se trouve un ancien fonctionnaire important des services de sécurité, qui a tué à mains nues un prisonnier palestinien menotté, lui frappant la tête avec une pierre. A l’époque, il s’en est vite sorti grâce à un pardon présidentiel. La place qu’il convoitait sur la liste du Likoud lui a été donnée principalement pour cet acte d’héroïsme.
La meilleure place de la liste est revenue à Tsakhi Hanegbi, qui est devenu célèbre, au début de sa carrière politique, pour avoir organisé des pogroms contre des étudiants arabes sur le campus de l’université de Tel-Aviv. Afin d’attirer des voix, il a publié une liste de 80 fonctionnaires du Likoud auxquels il avait fourni des emplois dans son ministère de l’Ecologie.
La nomination de politiciens du parti à des postes dans les services publics et dans les entreprises d’Etat est une violation flagrante de la confiance publique. Non seulement ces fonctionnaires vivent sur l’argent des contribuables, mais la nomination de ces apparatchiks du parti, à la place d’experts qualifiés, est très préjudiciable à l’intérêt général.
« Ce n’est pas par accident que Hanegbi est arrivé à un poste aussi élevé sur la liste du parti. Il y a quelques années, la ministre Likoud de l’Education a clamé aux 3.000 membres du comité central : « Sommes-nous venus au pouvoir pour distribuer des places aux membres du parti ? » Il a été répondu à sa question par un « oui !!! » retentissant.)
La liste électorale du Likoud a commencé à sentir mauvais. Mais les inconditionnels du parti pouvaient au moins se consoler à l’idée qu’en haut de la liste se tenait un chevalier à l’honneur irréprochable… jusqu’à la semaine dernière, lorsqu’un scandale a éclaté autour d’Ariel Sharon lui-même.
Ce scandale est parti de la publication d’un document officiel : une demande du ministre de la justice israélien au gouvernement sud-africain pour qu’il autorise l’interrogatoire d’un millionnaire sud-africain au sujet de présomptions criminelles touchant Ariel Sharon. Qui est responsable de la fuite ? Certains soupçonnent le ministère des Affaires étrangères aujourd’hui dirigé par Benyamin Netanyahou, le rival de Sharon le plus amer et déterminé à se venger.
L’histoire, en bref, est que, au cours des dernières élections, Sharon a reçu un énorme don illégal d’une mystérieuse entreprise dont les propriétaires étaient inconnus. Le président de la Cour des Comptes a demandé que Sharon rende l’argent. Ce dernier a été obligé de le faire, parce qu’autrement il aurait eu à payer une amende quatre fois plus forte. Ainsi, il a miraculeusement reçu un énorme prêt d’une source inconnue. Il déclare qu’il a eu l’argent par le millionnaire sud-africain. Mais tout a été fait d’une façon opaque et louche, l’argent lui étant parvenu par un chemin détourné à travers plusieurs pays. Le millionnaire sud-africain lui-même refuse d’en parler, se conduisant comme s’il avait commis un crime. Quand Sharon a été interrogé à ce sujet par la police, il a fait porter la responsabilité à ses deux fils, Omer et Gilead, répondant aux questions par « Je ne sais pas » et « Je ne suis pas sûr ». Comme si quelqu’un pouvait croire qu’il n’avait pas parlé avec ses fils avant l’interrogatoire.
Il faut connaître le contexte pour comprendre l’histoire. Ce n’est pas la première fois que les relations entre Sharon et les millionnaires juifs dans plusieurs pays ont fait froncer les sourcils à des gens au courant, mais ces choses n’ont pas été rendues publiques.
En 1973, quand il est clairement apparu à Sharon qu’il ne serait jamais nommé chef d’état-major, il a démissionné de l’armée. En quelques mois, il est devenu le propriétaire de la plus grande ferme privée du pays. Certes, un général de division reçoit un salaire confortable (plus élevé que celui d’un ministre), mais comment peut-on acheter une immense ferme avec cela ? En argot hébreu, on répond à de telles questions par « A quoi servent les amis ? »
L’un des meilleurs amis de Sharon est le milliardaire américain ex-israélien Meshulam Riklis, qui a permis à Sharon d’acquérir la ferme. Riklis est aussi le patron du Juif américain ex-israélien milliardaire Aryeh Genger, qui joue le rôle aujourd’hui d’émissaire non officiel de Sharon à la Maison Blanche. Le conseiller juridique de Genger en Israël est Dov Weisglass, aujourd’hui chef de cabinet de Sharon. Le millionnaire sud-africain, qui joue un rôle central dans le scandale Sharon, est Richard Kern, qui a servi dans les FID (forces israéliennes de défense) en 1948. Tous ces millionnaires se connaissent.
Cette semaine, on ne voyait pas bien lequel des millionnaires avait donné l’argent à Sharon (quelque 1,5 million de dollars) et qui avait servi seulement de couverture. Quelle est l’origine réelle de l’argent ? Est-elle noire ou blanche ? Plus Sharon nie, plus il est suspect.
La connexion entre des généraux israéliens et des millionnaires juifs de l’étranger est un sujet intéressant en lui-même. C’est une affaire pour les deux parties. Les généraux reçoivent un soutien généreux de la part des millionnaires, les millionnaires y gagnent en respectabilité. Généralement, ce sont des millionnaires qui ont soif de reconnaissance et croient qu’on ne leur accorde pas l’honneur qui leur est dû par la société goy dans leur pays. En toute occasion, ils mentionnent : « Mon ami, le général », se font photographier avec lui au cours d’événements nationaux, le reçoivent chez eux et sont reçus chez lui. Quand le général Ezer Weitzman était président d’Israël, il était notoire qu’il avait été soutenu par un ami millionnaire pendant de nombreuses années. Il n’était pas le seul général à être aidé par un millionnaire admiratif.
L’admiration des millionnaires pour les généraux est réelle. Certains d’entre eux ont honte d’avoir émigré d’Israël sans servir dans l’armée, ce qui à l’époque était considéré comme honteux. Yitzhak Rabin les a désignés un jour d’un terme hébreu qui peut être traduit par « ramassis de lâches ». Ils croient que leur proximité avec les héros de guerre israéliens leur rend leur honneur perdu.
Mais la proximité avec les généraux n’est pas seulement une question d’honneur. Quand les généraux deviennent ministres du gouvernement israélien, on attend d’eux qu’ils soient généreux pour leurs généreux bienfaiteurs. Le fait que Genger soit reçu à la Maison Blanche comme homme de confiance de Sharon ne nuit pas à son statut financier aux Etats-Unis, pas plus qu’il n’oblige les autorités à Haïfa à déplacer sa grosse entreprise chimique source d’accidents de la zone densément peuplée de la baie d’Haïfa, où elle met en danger, selon certains experts, la vie de milliers de personnes. L’amitié avec le Premier ministre n’a jamais nui à un capitaine de l’industrie ou de la finance.
Tout ceci n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est le projecteur qui soudain éclaire des coins obscurs. La connexion entre certains dirigeants du Likoud et le crime organisé est de plus en plus évidente et le scandale qui touche personnellement Sharon, qui apporte chaque jour de nouvelles révélations, pourrait faire ce que l’Intifada, l’effusion de sang, la crise économique et l’effondrement social n’ont pas fait : saper les fondations du gouvernement Likoud. Le parti a déjà baissé dans les sondages de 37 à 27 sièges.
Un article satirique a proposé au Likoud un nouveau slogan : « The whole world is against us, except the underworld. » (le monde entier est contre nous, sauf la pègre.)
On peut résumer tout cela avec la citation faite il y a quelque 150 ans par l’homme d’Etat anglais Lord Acton : « Le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Peu de gens connaissent la seconde phrase de la mise en garde de Lord Acton : « Les grands hommes sont toujours de mauvais hommes ».
[Traduit de l’anglais : RM/SW]