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LA LONGUE TRADITION D’ENGAGEMENT POLITIQUE DE L’UNIVERSITE FRANCAISE (Par le Pr Pierre SCHAPIRA)

23 janvier – Par Pierre SCHAPIRA, Professeur, Université Paris VI (mathématiques), membre du groupe « coordination des scientifiques pour une paix juste au proche orient ». Intervention au meeting du mercredi 22 janvier 2003 à Jussieu.


Je vais parler ici de l’implication et de l’engagement (deux notions distinctes) des savants et des institutions académiques dans la société.

L’implication active des savants dans la vie de la cité n’est pas un phénomène nouveau, on peut même dire que celui-ci remonte à l’Antiquité, avec Archimède par exemple, et a atteint un point culminant avec Oppenheimer et la bombe atomique. En contre-point, il y a Socrate, figure emblématique de l’intellectuel libre et contestataire.

Cette dualité, implication active et engagement moral, se retrouve évidemment au siècle des Lumières avec le projet Encyclopédique et ne s’est pas démentie depuis. Aujourd’hui, de nombreuses personnalités scientifiques, grandes et moins grandes, jouent de leur renommée ou plus simplement de leur place dans la hiérarchie universitaire pour faire passer des messages politiques.

Cet engagement est aussi passé du stade individuel au stade institutionnel. Il semble aller de soi que des Universités, des Académies, des sociétés savantes, se préoccupent des Droits de l’Homme, de l’avenir de la planète, du droit du vivant, etc. et de nombreuses Académies sont ainsi dotées d’un comite d’éthique. Mais la frontière entre éthique et politique est fragile…

Je voudrais donner quelques exemples classiques et moins classiques et montrer que l’engagement des scientifiques et des institutions ne va pas toujours dans le sens de la défense des Droits de l’Homme :

(i) pendant la guerre d’Algérie, Laurent Schwartz a organisé la soutenance publique, in abstentia, de la thèse de son élève Maurice Audin, enlevé par les parachutistes français. C’était, dans un cadre universitaire, un acte politique, d’ailleurs très fort,

(ii) pendant l’apartheid en Afrique du Sud, le boycott, y compris universitaire, était considéré comme une arme parfaitement légitime, et beaucoup d’universités américaines ont retiré leurs
investissements financiers dans ce pays,

(iii) dans les années 80, plusieurs centaines de physiciens français ont signé un appel dans lequel ils annonçaient cesser toute relation institutionnelle avec l’Urss, en solidarité avec leurs collègues Sakharov et Orlov (alors respectivement exilé et emprisonné),

(iv) lors de la dernière élection présidentielle française, de nombreux chefs d’établissements scolaires et universitaires ont pris publiquement position. L’Académie des Sciences a appelé à défendre la République au deuxième tour, ainsi, par exemple, que le Conseil d’Administration de l’Université Paris VII,

et dans une direction diamétralement opposée :

(v) dans de nombreux conflits, et il semble que le conflit israélo-palestinien ne fasse pas exception, des médecins et des psychologues collaborent avec l’armée et la police,

(vi) l’université israélienne de Bar-Ilan a ouvert une annexe « Judea and Samaria College´´ dans une colonie, à Ariel en Cisjordanie, montrant, s’il en était besoin, que les universités israéliennes ne sont pas toujours à la pointe du combat pour la paix.

Il est donc complètement faux de dire que l’Université et la Science sont à l’écart du débat politique et éthique. Elles en sont souvent au contraire au centre, pour le meilleur comme pour le pire.

En ce qui me concerne, et je pense que ce sentiment est partagé par de nombreux collègues, j’estime que ma mission, au delà de création et de la diffusion du savoir, est de transmettre un message d’universalité. Cela implique de défendre les Droits de l’Homme partout où ils sont bafoués, au risque de s’opposer aux institutions, fussent-elles universitaires. Le refus de collaborer dans certaines situations avec des institutions universitaires doit alors être compris comme un geste de solidarité avec des collègues opprimés, et doit être assimilé à un acte d’objection de conscience.

Paris, le 22 janvier 2003

Pierre Schapira
Professeur, Université Paris VI (mathématiques)
membre du groupe « coordination des scientifiques pour une paix juste au proche orient »